Par Olivier Hubert, codirecteur de l’Institut Pierre-Bourdieu (Bruxelles), chercheur à l’Université libre de Bruxelles.
Pourquoi travailler plus longtemps ne peut pas réduire le chomage ?
À la lecture du volet économique de son programme, les Français doivent s’attendre au pire si Nicolas Sarkozy est élu président de la République. Si elles sont appliquées, les mesures qu’il avance en matière d’emploi et de chômage propulseront le nombre de personnes sans emploi à des niveaux jamais atteints auparavant en France. La croisade que le président de l’UMP entend mener contre les 35 heures dès son élection à la présidence est sans conteste le point le plus inquiétant de ce programme économique. Dans le point 3 de son projet intitulé « Vaincre le chômage », il tente benoîtement de nous convaincre que les 35 heures n’ont pas permis de créer des emplois.
Or les statistiques sont formelles, la réduction du temps de travail (RTT) est créatrice d’emplois ! La loi Aubry du 13 juin 1998 a permis de ramener la durée hebdomadaire du travail de 38,83 heures début 1998 à 35,97 fin 2001, soit une baisse de 7,4 %. Sur la même période, plus de 1 800 000 emplois furent créés en France, soit une hausse de 8 % de l’emploi total en quatre ans. À titre de comparaison, à peine 800 000 emplois furent créés de début 1987 à fin 1990 alors que la croissance a été au moins aussi forte au cours de cette période qu’entre 1998 et 2002. La différence entre ces deux périodes, c’est que la durée du travail a été fortement réduite au cours de la période 1998-2001 alors qu’elle est restée inchangée au cours de la période 1987-1990. La RTT amplifie donc grandement la création d’emplois lorsque la conjoncture est favorable. Preuves à l’appui, la RTT n’est pas seulement socialement juste, elle est aussi économiquement efficace.
Comment la RTT crée-t-elle des emplois ? Pour répondre à cette question, il faut intégrer une variable dans le raisonnement : la productivité du travail. Cette variable mesure en quelque sorte le progrès technique. Le progrès technique permet de produire une même quantité de biens avec moins de bras. Autrement dit, sans la réduction progressive du temps de travail, les machines se substitueraient progressivement aux travailleurs. Pour un niveau de production (PIB) inchangé, la hausse de la productivité mène à une contraction de l’emploi. Afin de maintenir l’emploi, il faut donc redistribuer le travail en réduisant sa durée hebdomadaire ou bien augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs pour qu’ils consomment plus et que les entreprises embauchent.
Nicolas Sarkozy veut augmenter le pouvoir d’achat des Français. Excellente idée. Toutefois, cette mesure se traduira-t-elle par une relance de la croissance par la consommation et donc des créations d’emplois ? Malheureusement non, car il promet par ailleurs que « les heures supplémentaires seront toutes payées au moins 25 % de plus que les heures normales, et elles seront exonérées de toute charge sociale et de tout impôt ». Or les heures supplémentaires détaxées sont un « tue-l’emploi ». Même en cas de relance de la demande intérieure grâce à la hausse du pouvoir d’achat, les entreprises préféreront faire travailler plus longtemps leurs employés plutôt que d’embaucher. Par ailleurs, la hausse du pouvoir d’achat ne garantit en rien que les biens consommés seront produits en France et qu’ils donneront plus de travail aux - Français (fuite à l’importation). Cette mesure, présentée comme - favorable à l’emploi, est donc - essentiellement un cadeau au patronat français. Dans ces conditions, la hausse des salaires sera synonyme de croissance inégalitaire.
S’il est élu, Nicolas Sarkozy sera le président de la fracture sociale. En augmentant le pouvoir d’achat des uns et en plongeant les autres dans l’inactivité et la pauvreté, il fera de la France un pays plus inégalitaire. Mais alors, que faut-il faire ? Afin de créer de nombreux emplois, le prochain chef de l’État français devra réduire sensiblement la durée du travail. Afin de donner un emploi aux quatre millions de Français qui en sont privés, il ou elle devra réduire la durée hebdomadaire à 32 heures. Il ou elle devra aussi relever le SMIC afin de lutter contre l’insuffisance grandissante de la demande - intérieure.
Les statistiques utilisées dans cet article sont extraites de l’ouvrage Les Économies de l’Europe occidentale et leur environnement international de 1972 à nos jours, par J.-M. Jeanneney et G. Pujals(Observatoire français des conjonctures économiques, Fayard, 2005).
Source : Humanité.fr du 7 avril 2007
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