Quatre candidats sont en lice, qui ont en commun de rejeter toute participation à une majorité qui comprendrait le Parti socialiste. À quoi sert l’extrême gauche en France ? Laguiller, Besancenot, Bové, Schivardi...
Alors que pas moins de quatre candidats liés à cette mouvance politique, qui avait totalisé plus de 10 % des suffrages en 2002, sont en lice pour l’élection présidentielle, la question mérite d’être posée.
La première motivation de ces partis et candidats tient sans doute à l’opportune tribune publique offerte par la participation aux élections. Ainsi Arlette Laguiller jugeait-elle " légitime ", le 6 avril dernier, la participation de plusieurs courants de l’extrême gauche à l’élection présidentielle. Manière de juger positive la multiplication des voix défendant, en substance, les mêmes positions et propositions, même si leur inscription dans le réel devait être renvoyée aux calendes grecques.
Depuis 1974, en faisant des apparitions cycliques à chaque élection présidentielle, la même Arlette Laguiller s’est, d’une certaine manière, inscrite dans le paysage politique. Ou plutôt dans le paysage électoral, tant la porte-parole de Lutte ouvrière se fait discrète entre deux scrutins. " Pour autant, soulignent les auteurs de la France rebelle (1), [Lutte ouvrière] ne croit pas que ce soit par les urnes qu’elle puisse un jour atteindre ses objectifs révolutionnaires. En fait, il est essentiellement attendu du succès électoral qu’il suscite la création d’un "grand parti du monde du travail" ". Une perspective pourtant systématiquement repoussée, en dépit des relatifs succès électoraux enregistrés par l’extrême gauche depuis 1995. Cet objectif de la construction d’un " véritable parti ouvrier ", par opposition à un Parti communiste critiqué pour ses choix de participer à des majorités et des gouvernements avec le Parti socialiste et d’autres forces de gauche, est également mis en avant par le Parti des travailleurs, et, selon des modalités un peu différentes, par la Ligue communiste révolutionnaire d’Olivier Besancenot.
Cette dernière organisation se situe plus explicitement dans un enjeu de recomposition politique, oscillant cependant entre un tête à tête avec Lutte ouvrière et un rapprochement avec le courant " refondateur " du PCF et la mouvance altermondialiste. Mais là encore, l’objectif de faire émerger une " nouvelle force politique " se heurte à la question nodale de l’exercice des responsabilités, la LCR rejetant toute participation à un gouvernement et même à une majorité de gauche, s’appuyant depuis 2002 sur une critique sévère du bilan de la gauche plurielle. En la matière, Olivier Besancenot a franchi un pas dans cette campagne avec ses déclarations, fin mars, prônant une " union de la gauche radicale face à la gauche molle ". Concentrant jusque-là ses attaques sur le projet porté par Nicolas Sarkozy, le porte-parole de la LCR s’est dit favorable à une " opposition politique crédible " à Ségolène Royal si elle parvenait aux responsabilités, " pas seulement à sa droite, mais aussi à sa gauche ". Une posture d’opposition rejetée par José Bové, qui a récemment mis en garde les électeurs contre la tentation du " refuge " dans un " vote protestataire " en faveur de Laguiller ou Besancenot, tout en fustigeant cette " gauche tiède qui n’est pas capable de changer la vie au quotidien " incarnée selon lui par le PS, mais aussi le PCF et les Verts. Ces tentatives de se démarquer de l’extrême gauche n’éclairent pas pour autant le positionnement politique de celui qui a troqué le champ des contre-pouvoirs pour " l’inutile conquête du pouvoir central " qu’il critiquait encore il y a peu.
Singularité française, cette kyrielle hétérogène et divisée s’est entre autres nourrie, ces dernières décennies, de l’affaiblissement d’un PCF dont l’originalité politique depuis sa fondation fut de s’inscrire dans le jeu institutionnel pour peser en faveur de conquêtes sociales. Un rapport à la prise de responsabilités qui le distingue, aujourd’hui encore, de l’extrême gauche.
(1) La France rebelle, sous la direction de Xavier Crettiez et Isabelle Sommier. Éditions Michalon, 2006.
Rosa Moussaoui, l’Humanité du 11 Avril 2007