La tâche des candidats à l'élection présidentielle est décidément impossible. Celle des électeurs ne l'est pas moins. Qu'on en juge. Selon une enquête du CEVIPOF, 61 % des Français ne font confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner le pays. Le problème est de savoir ce que l'on attend des candidats ou plutôt sur quels critères les électeurs entendent les juger. Si le seul objectif est de se faire une opinion sur leur personnalité et si on estime, comme le font semble-t-il les producteurs de télévision, que les citoyens ne peuvent s'intéresser à la politique que si on lui donne un caractère ludique, pourquoi ne pas pousser à l'extrême cette propension en soumettant les candidats à des épreuves qui permettraient de mesurer leur courage, leur esprit de décision, leur capacité à faire agir ensemble des individus, en somme une version politique des émissions de télé réalité ? En revanche, le moins que l'on puisse dire est que la formule pour permettre aux Français de juger de la compétence des candidats et du sérieux de leur programme n'a pas été trouvée. Pour réduire la légitime méfiance des électeurs et mettre un terme à l'extravagante concurrence des promesses, quelques règles du débat électoral pourraient être proposées.
1. La contestabilité. Dans La logique de la découverte scientifique, l'épistémologue Karl Popper évoque le terme de « falsifiabilité », suggérant par là qu'un concept n'est scientifique que s'il est réfutable par l'expérience. On pourrait adapter ce concept à la démarche politique en considérant que seules les propositions susceptibles d'être contestées sont dignes d'intérêt. L'application d'un tel principe conduirait à considérer comme ne méritant pas la discussion des propositions avancées par les candidats qui ne sont pas à proprement parler des mesures, encore moins des engagements quoiqu'ils en disent, mais des pétitions de principe.
2. Le complément logique du principe précédent est que toute mesure doit avoir un coût. Ce coût n'est pas forcément financier, mais peut être social ou psychologique. Quoiqu'il en soit une proposition ne devrait être considérée comme valide que si elle entraîne la réprobation d'une partie plus ou moins importante de l'électorat. En d'autres termes, l'unanimité est toujours suspecte. C'est précisément parce que les tentatives d'instaurer la flexisécurité en France ont toujours négligé les fortes exigences qui s'imposent aux salariés dans les pays scandinaves qu'elles ont échoué.
3. Définir un angle d'attaque et une articulation entre les mesures proposées. L'énoncé des grands principes n'est guère discriminant entre les candidats. Tous entendent développer la recherche, l'éducation, réduire la pauvreté, etc. Les clivages apparaissent quand ils explicitent leurs priorités et surtout la méthode qu'ils entendent suivre pour les mettre en oeuvre. L'articulation entre les différentes mesures et la temporalité de chacune d'elles dans le cadre d'une stratégie globale sont fondamentales. C'est là que s'esquissent les doctrines sous-jacentes. C'est pourquoi toute proposition devrait être intégrée dans une politique d'ensemble, mais réciproquement, celle-ci n'a de sens que si elle est explicitée par des orientations précises qui sous-tendent elles-mêmes des mesures élaborées.
4. Déterminer des arbitrages précis. « Gouverner, c'est choisir » disait Mendès France. La question n'est pas de savoir si des mesures sont en elles-mêmes souhaitables, mais si les moyens financiers qu'elles exigent ne peuvent pas être employés de manière plus efficace ailleurs, compte tenu des priorités énoncées. Dans cette optique, des arbitrages clairs doivent être annoncés, la difficulté étant que de manière générale les réformes structurelles les plus profondes n'ont d'effets qu'à long terme et sont donc peu rentables en termes électoraux, sauf à s'en tenir à des promesses purement rhétoriques. De plus, dans bien des cas, il ne s'agit pas simplement pour l'Etat de dépenser plus, mais également de procéder à des réformes qualitatives qui vont heurter des corporatismes.
5. Eviter la démagogie à rebours. Le débat sur le financement des mesures proposées doit sans doute être maintenus pour éviter des débordements. Mais il faut se garder de tomber dans la démagogie inverse consistant à faire croire que le programme politique le moins coûteux, le candidat le plus modeste sont forcément les meilleurs, alors qu'on peut simplement les soupçonner de manquer d'ambition. Après tout, les investissements d'aujourd'hui préparent le développement de demain, à condition que ces investissements soient clairement définis et ne répondent pas simplement aux revendications de ceux qui crient le plus fort ou disposent des capacités de pression les plus efficaces.
Il va sans dire que notre naïveté ne va pas jusqu'à croire que les candidats vont suivre spontanément de tels principes. Ils peuvent néanmoins aider les journalistes et les électeurs à préciser leurs interrogations. De plus, ne peut-on espérer que l'inquiétude sur l'avenir qui caractérise aujourd'hui les Français les conduira à tenir gré aux candidats qui se montreront les plus rigoureux ou les moins
démagogiques ?