« Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. » Et aujourd'hui, que regarde-t-il alors que paraît le gouvernement ? L'ouverture, encore et toujours l'ouverture. Mais la rupture qui se met en place sous l'ouverture, il ne la voit pas...
Un ancien ministre de Mitterrand, un intime de Hollande, le principal lieutenant de Bayrou - sans parler du transfuge Éric Besson : il est vrai que la pêche a été bonne. Avec de telles prises, qui privent le PS et l'UDF, de l'argument du « rééquilibrage » législatif, la droite devrait ramener des députés à pleins filets. Dans la perspective des réformes à venir, l'ouverture - réelle - aura eu l'immense avantage d'élargir le socle de la majorité. »
Ainsi commence un éditorial du Figaro que je vous recommande chaudement. Vous le trouverez publié dans l’édition de samedi dernier. Il est également consultable sur Internet. La suite est tout aussi pertinente. Il serait dommage de ne pas le faire circuler le plus largement possible afin de dissiper les illusions des gogos qui ont la triste habitude de calquer leur opinion sur la « grande presse ». Car ce papier dément efficacement les publi-reportages peoplisés sur le nouveau gouvernement chargés de faire espérer aux crédules que Sarkozy a renoncé à ses velléités ultralibérales.
Le débauchage de personnalités de gauche a comme unique objectif de contribuer à écraser la gauche aux législatives. Telle est la mission de ce gouvernement nommé pour quelques semaines. C’est ce que confirme très officiellement l’agenda du Premier Ministre. Pour la journée d’hier, une seule obligation : « 10h30, Hôtel de Matignon - Le Premier ministre réunit l’équipe dirigeante de la campagne pour les élections législatives ». Pour aujourd’hui, un seul rendez-vous « 12h00 : Hôtel de Matignon - Le Premier ministre reçoit les parlementaires de la majorité présidentielle ». Même lorsque Fillon finira par faire mine de gouverner, il sera en réalité en train de poursuivre la campagne législative par d’autres moyens.
D’ailleurs qui Sarkozy a-t-il réussi à débaucher ? Les habituels griots de la modernisation de la gauche, qui ne cessent d’inviter celle-ci à renoncer à son opposition frontale à la droite et à brader ses ambitions transformatrices sur l’autel de la modernité. Kouchner était favorable à la réforme Fillon des retraites. Il soutenait la guerre en Irak de Bush. Il voulait gouverner avec Bayrou au nom du fait que le clivage gauche-droite était dépassé. Jouyet était membre des Gracques, ce réseau de technocrates socialistes qui ont appelé à voter Bayrou dès le premier tour. Ces adeptes du pragmatisme aux convictions fluctuantes ne risquent pas de contrarier le nouveau président. Mais comme il s’agit à chaque fois de proches de Hollande et Royal, portés aux nues par les porte-parole autoproclamés de la gauche moderne, tellement plus sympathiques que ces socialistes archaïques qui ont le mauvais goût de ne pas s’agenouiller devant les puissants, Sarkozy espère priver les candidats socialistes dans tout le pays des quelques points qui suffisent à en envoyer plusieurs dizaines au tapis.
Une fois dissipé le rideau de fumée de l’ouverture, tout le reste est d’une clarté limpide. Un gouvernement d’union des droites d’abord. Tous s’y retrouvent : courants dits gaullistes (Alliot-Marie), sociaux (Fillon, Borloo), catholiques (avec Boutin, conseillère officielle du pape au Vatican), libéraux (Hortefeux), centristes (Morin)… ; clans balladuriens, chiraquiens, rafariniens… Ensuite un gouvernement libéral de combat : la Sécu rattachée aux comptes publics, la Fonction publique sous la coupe du ministère du Budget, un ministère de l’immigration et de l’identité nationale pour la première fois depuis Vichy, les ministères à qui reviendront les réformes immédiates confiés aux plus proches conseillers du chef de l’Etat (peines planchers pour Rachida Dati, autonomie des universités pilotée par Valérie Pécresse, réforme de l’Etat pour Eric Woerth, service minimum, contrat de travail unique et régimes spéciaux pour Xavier Bertrand, « assouplissement » de la carte scolaire pour Xavier Darcos). Et un gouvernement mené dans l’ordre protocolaire par François Fillon et Alain Juppé, célèbres pour avoir mis des millions de personnes dans la rue contre leurs projets de remise en cause des droits sociaux, qui ont une lourde revanche à prendre.
Que faire face à un tel gouvernement, à quelques semaines des législatives ? De la politique encore et toujours. Expliquer les dangers que recèle l’offensive de la droite. Argumenter précisément sur les projets gouvernementaux. Convaincre qu’ils ne sont pas des solutions aux problèmes du pays. Aucun réflexe conditionné ne remplacera la conviction argumentée. Car si ce travail de fond n’est pas fait, l’argument du rééquilibrage ne vaut pas tripette. La gauche n’est pas là pour contribuer à la biodiversité politique de la France. Nous n’en appelons pas à la sauvegarde du patrimoine. Notre rôle est de défendre concrètement les intérêts du plus grand nombre. Et d’opposer à la droite une autre vision de l’intérêt général.