Pour Priorité à Gauche : contribution de Pierre Lefébure, militant du PS à Paris-20e.
L’échec est lourd, la défaite cinglante. En l’emportant sur notre candidate avec plus de 6 points d’écart, Sarkozy dont nous avons combattu le projet libéral et réactionnaire est en mesure d’imprimer un vaste effet d’entraînement sur les élections législatives (puis sur les municipales en mars 2008 ou plus tôt si elles sont avancées).
Qu’elles qu’aient été les qualités de Ségolène Royal et les nôtres, qu’elle qu’aient été son énergie et la nôtre, et malgré le grand nombre de suffrages portés sur son nom, l’écart est plus grand que celui subi par Lionel Jospin, pourtant pas parti pour gagner, en 1995 contre Jacques Chirac. Parmi les divers facteurs expliquant cet échec, il y a la capacité d’attraction exercée par Sarkozy dès le 1er tour et accentuée au 2nd, y compris auprès des catégories populaires massivement revenues aux urnes. Mais il y a aussi, par comparaison, le déficit d’attraction de la campagne menée autour de Ségolène Royal malgré un vote utile de 1er tour (traumatisme de 2002) et des reports disciplinés au 2nd tour (rejet de Sarkozy).
Sans en faire peser individuellement la responsabilité sur Ségolène Royal, c’est l’échec d’une stratégie de campagne consistant notamment à personnaliser l’affrontement, à s’ajuster à l’actualité et à mordre sur les thèmes de l’adversaire au détriment des enjeux qui sont au cœur de la pensée humaniste et progressiste de la gauche et au cœur des attentes de nos concitoyens. Cette campagne n’avait pas d’ossature, si ce n’est le discours de la méthode, utile mais largement insuffisant. Car nos concitoyens, s’ils veulent en effet être écoutés, sont aussi demandeurs d’un discours d’action. Or, si Sarkozy a également fait le pari des ajustements incessants en jouant d’abord la partition de la " rupture libérale " avant d’alterner les références à Blum et Jaurès, l’identité nationale, les tergiversations sur Airbus, l’inquiétude sécuritaire, l’appel à " la majorité silencieuse " ou bien encore la liquidation de mai 68, il a néanmoins marqué les esprits par quelques formules simplistes et cyniques auxquelles nous n’avons pas su répliquer de manière structurée et convaincante. Ainsi, en opposant systématiquement " ceux qui se lèvent tôt " aux profiteurs du modèle social français, en martelant qu’il faut " travailler plus pour gagner plus ", Sarkozy est devenu, selon toutes les enquêtes d’opinion, le plus crédible sur l’enjeu du pouvoir d’achat et des salaires !!! Comme le Chirac de 1995 s’était imposé à partir du thème de la fracture sociale, Sarkozy nous a débordé sur notre gauche pendant que nous cherchions un improbable centre mou.
Malgré nos succès aux législatives de 1997, aux régionales et aux européennes de 2004, tout cela confirme la difficulté des candidats issus du Parti socialiste à se situer et à l’emporter dans une élection présidentielle depuis François Mitterrand. Pour autant, le Parti socialiste est-il la première victime d’un tel échec ? La réponse est : non. Non, parce que, suivant en cela une certaine conception de la Ve République, Ségolène Royal s’est d’abord présentée à nos concitoyens en " femme libre ". C’est d’ailleurs un contraste avec un Sarkozy clairement engagé comme l’incarnation de l’UMP qu’il avait préalablement conquise contre la chiraquie et qu’il avait restructurée tout à sa main. Si, en tant que socialistes, nous nous sommes engagés sans réserve dans la campagne de Ségolène Royal, son échec devenant le nôtre, il n’en reste pas moins que ce n’est pas le Parti socialiste qui a été battu au 2nd tour. Ce n’est donc que dans les élections législatives qui commencent maintenant que le Parti socialiste va se retrouver en première ligne. Certes, ne nous faisons pas d’illusions, ce sera plus pour sauver ce qui peut l’être que pour obtenir cinq ans de cohabitation. Mais l’enjeu est crucial : disposer d’une force suffisante pour mener dans les institutions et pas seulement dans la rue et dans les médias la lutte politique contre le libéralisme réactionnaire de Sarkozy. Pour ce nouveau combat, certains d’entre nous ont la tentation des convergences au centre. Mais quel centre ? Celui des députés UDF qui ont tous confirmé leur ancrage à droite en ralliant Sarkozy au 2nd tour ? Celui de Bayrou dont l’électorat neuf est essentiellement fait de gens attirés par une vertueuse posture de dénonciation ?
Ce glissement vers ce qui paraît être un réservoir de voix signerait définitivement un état de panique. Ce n’est pas seulement en posant des constats sur la dureté du monde ou en brandissant la modernité comme un mot d’ordre que nous convaincrons nos concitoyens. Pour former des propositions claires en accord avec nos valeurs, il nous faut avoir le courage d’analyser l’état du monde et de notre société. Or, cet effort d’analyse, nous ne l’avons pas fait ou n’avons pas osé le faire ces dernières années, ni au plus haut niveau, de peur de remuer le couteau dans la plaie de 2002, ni dans les sections où la formation des adhérents reste formelle, voire inexistante, alors même qu’un grand nombre de nouveaux camarades nous ont rejoints. Tout juste un moment d’analyse s’est-il amorcé à propos du référendum européen de 2005 mais qui n’a pu se développer sereinement jusqu’à ce que le vote d’une majorité de nos concitoyens nous rappelle combien nous aurions dû être plus assidus à la tâche. Bien d’autres sujets exigent notre réflexion : nouveaux défis à la laïcité, renouvellement de nos institutions, intégration de l’écologie à nos choix politiques, etc.
Pour ne prendre qu’un exemple, la social-démocratie nordique ou allemande a pu être appropriée au lendemain de la Seconde guerre mondiale quand le compromis social pouvait s’opérer dans le cadre national dans un contexte de croissance et de reconstruction. Dans le monde d’aujourd’hui, celui du capitalisme financiarisé où le patron détenteur du capital a été remplacé par le manager sanctionné par les actionnaires, les contraintes structurelles de l’économie ne permettent plus au compromis social-démocrate de fonctionner (essor des grandes grèves salariales en Allemagne depuis 10 ans). Notamment, la façon dont la répartition des revenus des entreprises cotées en bourse évolue depuis 15 ans au détriment de l’investissement productif et de la rémunération des salariés et au profit de la rémunération des actionnaires indique clairement que c’est une autre échelle de régulation qu’il faut envisager. Cela correspond plus globalement aux dynamiques de la mondialisation face à laquelle nous n’avons assigné aucun rôle à l’Europe et c’est finalement Sarkozy qui sort de sa manche l’idée de droits de douane sociaux et environnementaux sur les importations extra-communautaires tandis que le spectre du mot " protectionnisme " paralyse notre pensée. Contre ces fausses pudeurs qui nous amollissent le cerveau, l’effort d’analyse doit servir l’application de nos valeurs. Car nous avons des valeurs : solidarité, émancipation matérielle et culturelle, service public, laïcité, développement durable, internationalisme et multilatéralisme. Ces valeurs ne sont pas archaïques mais elles sont contestées par nos adversaires qui n’hésitent pourtant pas à en jouer comme d’un flûtiau à chaque échéance présidentielle pour empocher la victoire. Et, nous, parce que nous perdons ces élections, nous irions en plus nous perdre nous-mêmes en renonçant à ce qui est profondément nôtre et que la droite instrumentalise ! Un tel renoncement serait suicidaire.
Au contraire, le monde du travail doit pouvoir nous entendre… et ce que nous voulons lui dire, c’est que le travail doit être payé à sa juste valeur par une augmentation des salaires. Oui, le monde de l’école doit pouvoir nous entendre… et ce que nous voulons lui dire, c’est qu’il est le socle de la République pour lequel nous mobiliserons les moyens nécessaires. Oui, le monde des cités et le monde rural doivent pouvoir nous entendre… et ce que nous voulons leur dire, c’est que nous ferons revenir auprès d’eux les services publics. Oui, le monde des artisans, commerçants et petits entrepreneurs doit pouvoir nous entendre… et ce que nous voulons lui dire, c’est que tout ce qui contribue à localiser et à stabiliser l’emploi et la réussite économique sera réorienté des grandes entreprises irresponsables vers eux (commandes, aides, recherche…). Oui, le monde des familles doit pouvoir nous entendre… et ce que nous avons à lui dire, c’est que le logement et les énergies alternatives feront l’objet de grands chantiers créateurs d’emploi et de ressources nouvelles. Nous, les socialistes, nous n’avons pas à renoncer à nos valeurs. Nous avons à faire l’analyse du monde où elles doivent trouver à s’actualiser. Si nous nous replions sur le seul constat des difficultés et renonçons ainsi à cet effort d’analyse, Sarkozy n’aura pas seulement gagné la présidentielle ; il aura aussi gagné sur le terrain des idées en annihilant toute alternative sérieuse au libéralisme réactionnaire que nous nous contenterons d’accompagner par une social-démocratie froide et soumise ou on ne sait quelle recherche de convergences. Soyons forts, soyons nous-mêmes, une gauche clairvoyante et décomplexée, soyons le Parti socialiste qui gagnera en 2012…
Pierre Lefébure, section du 20e arrondissement de Paris (le 7 mai 2007)
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