Nous venons de subir la troisième défaite successive de la gauche à l’élection présidentielle. Trois autre défaites législatives, en 1993, 2002, 2007 sont venu consacré le règne d’une droite qui, à l’orée de l’année 2012 n’aura jamais été totalement éloignée du pouvoir durant les 20 années précédentes.
Tribune de Razzye HAMMADI, président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), publiée dans Libération du 22 juin 2007
Dans les mois et les années à venir, ceux qui nous rejoindront parmi les jeunes générations n’auront connu que la droite au pouvoir. Et c’est un parallélisme de destin que nous partageons avec ceux qui furent les acteurs du processus qui mena la gauche à la victoire du 10 mai 1981.
La plupart de ces jeunes, nés après la chute du mur de Berlin, n’auront été témoins, à défaut d’en être acteurs, ni de l’Union de la gauche, ni des errements de l’ouverture qui contriburent au désastre électoral de 1993, car de tout temps lorsque la gauche donne le sentiment de ne plus être la gauche, la gauche perd.
C’est cette génération qui incarne à elle seule tous nos espoirs.
Violentés par une précarité toujours plus forte, elle trouva la force d’être le fer de lance d’une gauche politique, syndicale et associative unifiée, cohérente et combattante qui infligea à la droite, par le retrait du CPE, une des seules défaites à la fois politique et culturelle de ces dernières années.
Ces enfants de la crise sont pourtant les rejetons naturels et illégitimes de la nouvelle répartition « capital/travail », de la « fin de l’histoire », élevés dans la culture du « tous concurents » et baignant dans les affres de la compétition totale comme l’illustre les prologues d’une une télé-réalité fondée sur le culte de l’élimination. Ils sont les preuves vivantes que l’espoir est toujours permis.
En ne succombant pas à l’accoutumance pavlovienne qui les aurait incité en majorité à glisser un bulletin Sarkozy dans l’urne, ils sont ceux qui se sont le plus mobilisés à gauche lors de l’élection présidentielle, tant du point de vue électoral1 que militant.
Ils montrent bien que la droitisation ou la centrisation de la société n’est qu’une absurdité dans la bouche de socialistes, qui, par manque d’arguments ou d’alibi à la veille d’un congrès qu’ils souhaiteraient précipiter, recherchent des fatalités en guise de tout projet.
Aucune refondation n’est possible sans l’adhésion de la jeunesse engagée
Dès lors, aucun débat ne peut être posé sans la contribution majeure des jeunes engagés ou souhaitant s’engager à gauche. Nulle refondation ne peut être impulsée sans leur apport. Toute perspective stratégique, toute orientation nouvelle sans leur aval est vouée à l’échec
Pour la première fois, les jeunes, minoritaires dans la population depuis plusieurs années, le sont devenus politiquement à la suite de la présidentielle de 2007. Nicolas Sarkozy est le premier président élu sans être majoritaire chez les jeunes.
Pour autant, il ne faut y voir aucune « fracture générationnelle consommée ». La solidarité inter-générationnelle, à travers la défense d’un droit à l’avenir existe. L’histoire nous enseigne que l’aspiration majoritaire des jeunes engagés à gauche a déjà démontré sa force d’entraînement jusqu’à devenir réalité.
Ainsi, dans les premiers jours qui suivirent l’annonce du CPE, l’opinion publique, et notamment celle des jeunes se montrait favorable à l’adoption d’un tel contrat.
Les organisations de jeunesse décidaient alors de combattre par des mots d’ordre unifiants et une analyse partagés par l’ensemble de la gauche, simples, et pertinents, porteurs d’alternatives crédibles et originales (contrat d’entrée dans la vie active, statut social des jeunes en formation, allocation d’autonomie pour les jeunes apprentis et étudiants…, autant de propositions qui disparurent du débat présidentiel). Ils firent s’inverser une tendance que d’aucuns décrivaient, y compris dans les rangs du Bureau National du PS, comme irrémédiable. Puis les jeunes convainquirent leurs propres parents.
D’ailleurs, ce qui a cruellement manqué à la gauche durant la campagne présidentielle fut, parmi d’autres lacunes, l’énoncé d’alternatives claires et constantes pouvant convaincre les français de voter comme leurs enfants.
Pour des générations de militants, la conquête du pouvoir par la gauche fut l’espoir de toute une vie, un rêve qui, pour se réaliser, se dota d’un modus operandi, le programme commun, d’une dynamique, l’unité de la gauche et d’une ambition, « changer la vie ».
Chaque génération doit penser son utopie afin qu’elle devienne réalité par les outils qu’elle s’octroie. Voler comme les oiseaux était un rêve jusqu’à ce que l’homme invente l’avion.
Pour notre génération, la refondation de la gauche apparaît comme la première étape de la reconquête du pouvoir par la gauche.
La refondation : Une vision, un contenu, un calendrier
Je m’adresse ici à tous les socialistes honnêtes qui ne jugeront pas ce texte à l’aûne de leur intérêt personnel et tactique, à tous les militants sincères du camp du progrès qui , sur le terrain, ont besoin d’espérer à gauche, à ces hommes et à ces femmes qui ont compris qu’au-delà de l’air du temps, si rien de sérieux ou de fondateur ne se lève à gauche face à cette droite totale, nous succomberons et notre idéal avec nous.
Qu’ils ne voient dans mes mots aucune défiance, seulement un acte de franchise, celui qu’on se doit lorsque, au fond du trou, les camarades se parlent afin de trouver les moyens de s’en sortir. Ensemble.
Partons de choses simples. A gauche, une vision de la France, ainsi qu’un idéal universel nous rassemblent. L’égalité par la justice sociale, la liberté par l’autonomie et la fraternité par l’émancipation et la démocratie demeurent le patrimoine indiscutable et les fils conducteurs de tout processus unifiant pour la gauche.
Certes, Epinay doit être réactualisé du fait des évolutions politiques depuis plus de trente ans, mais l’essentiel reste partagé par tous.
Cependant, nous savons qu’au-delà du socle électoral et idéologique de départ, de nombreuses questions restent en suspens. Quelle Europe devons nous défendre et porter en réconciliant le oui et le non tout en développant une nouvelle stratégie d’alliance ? Quel gauche européenne au-delà des frontières du PSE qui n’hésite pas à héberger en son sein les contradiction des leaders qui en sont membre et qui, en pleine campagne électorale pour le PS français, ne paraissent en aucun cas gênés lorsqu’ils tressent les couronnes de laurier à M. Sarkozy.
Quelle stratégie pour faire évoluer le rapport de forces social et politique au niveau mondial, au moment où l’émergence des gauches sud-américaines ne cesse d’étonner, pendant que les mouvement sociaux en Asie continue de confirmer leur vitalité. Quelles alternatives au Blairisme et au Bushisme dans la lutte contre le terrorisme ?
A l’échelon des territoires, la visibilité des projets régionaux et départementaux de la gauche doit être plus forte, plus claire, articulée par une stratégie d’ensemble. Lorsque la gauche obtient la gestion de la quasi-totalité des régions et d’une majorité des conseils généraux, ce n’est pas pour proposer un idéal de transformation à la carte. Là aussi, nous devons savoir jouer collectif.
Du point de vu sociétal, le renversement historique de la pyramide des âges provoque des bouleversements de civilisations. Sachons les penser.
Le nouvel âge du capitalisme doit nous appeler à redessiner nos règles de droits et une fiscalité inadaptés aux enjeux sociaux, environnementaux et démocratiques permettant de sauvegarder les générations à venir.
L’analyse migratoire et son débouché en terme de politique d’immigration en est à ses balbutiements, notre discours sur les drogue varie entre la mode et le conservatisme, notre perception du progrès le rend anxiogène à nos yeux…
Les débats sur le fond sont en effet nombreux à tous les niveaux et ceux qui concernent les outils de la reconquête ne sont pas en reste.
Face à l’atomisation des individus et le délitement du lien social, comment recrée-t-on des luttes collectives, comment les organisations d’éducation populaires redeviennent des actrices politiques de premier plan, comment nos partis se renouvellent, refondent leur mode d’action, quelle stratégie électorale et territoriale développe-t-on là où la suprématie de la droite (Paca, Alsace…) semble être devenu une fatalité électorale ? Quelle stratégie médiatique là où le pluralisme paraît de plus en plus menacé ?
Si comme on le voit, la refondation de la gauche appelle un débat historique sur le fond et la stratégie, elle n’en exige pas moins un calendrier.
Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons que le débat de la rentrée soit dédié aux raisons de la défaite, c’est notre droit d’inventaire et à la préparation de la refondation de la gauche, c’est notre devoir d’inventer. La fin de l’année 2007 doit voir naître la première étape de la refondation à travers des débats ouverts à tous ceux qui souhaitent participer à cet élan, nous voulons une refondation sur des bases politiques mais aussi associative et syndicales, culturelle et intellectuelle.
La perspective des municipales doit nous amener à établir une collaboration sincère avec des organisations aussi diverses qu’AC le feu, ou les collectifs de défense des services publics.
Au-delà des municipales, les échéances électorales et sociales à venir nous permettent d’offrir à chaque fois un débouché immédiat et pratique à la refondation politique que nous voulons, et ce sans attendre 2012.
Restent posées la question du Modem (puisque certains en font un débat, respectons le) et celle concernant la désignation de notre candidat. En ce qui concerne le Modem, c’est à lui qu’il revient de se définir au-delà de l’Objet Politique Non Identifié qu’il est aujourd’hui et au regard de ce que sera la refondation de la gauche. Quant à la désignation de notre candidat, gageons que si elle se pose avant 2010, elle sera noyée dans les enjeux d’ego. Rappelons que François Mitterrand fut désigné en janvier 1981 et qu’en 1995 Lionel Jospin le fut quelques semaines avant l’échéance présidentielle, ce qui ne l’empêcha pas de finir en tête au soir du premier tour du scrutin.
Pour les socialistes, acteurs centraux de la refondation, deux écueils majeurs doivent être évités.
Le premier consiste à rejouer des postures se résumant d’une part à « plus à gauche que moi tu meurs » et d’autre part à « hors de la social-démocratie, point de salut » alors qu’au même moment celle-ci se divise, se cherche ou se perd partout en Europe. Forts de nos valeurs, c’est un débat sans caricature que nous voulons, pour ne pas être plus ou moins à gauche, mais mieux à gauche.
Le second écueil est celui de la personnalisation des enjeux que ce soit par adhésion ou rejet. Pour cela, le congrès des socialistes doit intervenir après les municipales, comme prévu, car il n’y a pas que le PS dans l’univers du camp du progrès, de même qu’il n’y a pas que « les individualités présidentiables » sur la planète PS.
Enfin, il reste une condition insuffisante mais nécessaire. L’unité. J’ose le rappeler car comme l’écrivait Jean Verlhac décrivant le processus d’unification des socialistes à la fin du XIXème siècle, je me suis toujours rassuré en pensant que « L’unité s’imposait à tous les esprits socialistes au moment où elle semblait plus difficilement réalisable que jamais auparavant »2.
« Génération 21 avril », « Génération CPE », nous voulons être maintenant la génération de « la victoire » et nous comptons bien nous en donner les moyens.
(1) "Le nouveau Président de la République doit la netteté de sa victoire au soutien important des électeurs de plus de 60 ans. Il obtient 61% des suffrages des 60-69 ans, 68% chez les plus de 70 ans. L’hypothèse assez séduisante sur le papier d’un vote féminin acquis à Ségolène Royal est d'ailleurs contredite par l’attractivité de Sarkozy dans cet électorat : les deux tiers des femmes de soixante ans et plus a voté pour lui. Plus globalement, le bon score de la candidate socialiste chez les 18-24 ans (58%) ne suffit pas à contrebalancer le vote du "troisième âge", qui était déjà acquis
(2) Jean Verlhac, La formation de L’unité socialiste (1898-1905), Paris, Montréal, L’Harmattan, 1997