Contribution pour Priorité à Gauche de D. Baillet, socialiste de Paris- 19e. Il faut choisir au Ps entre plusieurs lignes politiques possibles. Mais l'alternative n'est pas forcément entre social-libéralisme et ant-libéralisme. Une social-démocratie ancrée à gauche, défendant les classes populaires et l'économie mixte, pourrait être le chemin de l'avenir.
Depuis l’échec des socialistes aux élections présidentielles et législatives de 2002, le Parti socialiste traverse une crise profonde. Cette crise, faute de s’être résorbée grâce à une réflexion profonde et collective, s’est au fil des années, étendue et amplifiée. Les raisons internes de son aggravation sont liées, en partie, à un refus, conscient et stratégique, de la direction du parti, et en particulier du premier secrétaire, François Hollande, de repenser en profondeur l’idéologie socialiste, de confronter l’héritage socialiste au monde du XXIe siècle et de révolutionner des pratiques internes, devenues oligarchiques. Mais la raison essentielle du nouvel échec des Socialistes aux élections présidentielles et législatives de 2007, tient surtout au refus de « trancher » entre plusieurs lignes politiques possibles et à la volonté, presque cynique de la direction actuelle, de neutraliser les oppositions ou les différences de positionnement à l’intérieur du PS, pour asseoir son pouvoir.
Quelles sont ces pistes possibles ? Quelle est la meilleure pour que ce parti puisse reconquérir non seulement les classes populaires, mais aussi l’ensemble des salariés (ouvriers employés, cadres), aux prochaines élections générales, prévues en 2012 ? La première direction possible est celle du « social-libéralisme » ou du « socialisme libéral », c’est-à-dire du « socialisme de marché ». Cette orientation, que l’on présente, à tort, comme « social démocrate », est une doctrine qui se résume à un accompagnement social ou à une compensation sociale du libéralisme économique. Elle accepte pleinement l’économie de marché, c’est-à-dire le libre-échange, se préoccupe plutôt de distribution que de production, et ne renonce pas à la mise en place d’une politique volontariste, pour corriger les excès du capitalisme. Elle prône donc une économie sociale de marché, en d’autres termes, un libéralisme « à visage humain » qui s’oppose à l’ultra- libéralisme qui sévit outre-atlantique et dans les puissances dites « émergentes », telles la Chine, l’Inde ou la Corée du Sud.
Ce courant de pensée, issu du révisionnisme du XIXe siècle de Edouard Bernstein, se distingue du libéralisme par son souci d’égalité et d’intervention de l’Etat, mais diffère aussi de la social-démocratie pas son acceptation franche du marché et par le primat absolue donné à la liberté. Cette tradition incarnée par Michael Walzer aux Etats Unis, Jurgen Habermas en Allemagne, ou Claude Lefort en France, propose un modèle de société pluraliste et juste, fondé sur un projet commun soumis à délibération collective qui se méfie du pouvoir des élites. Distinct du blairisme actuel (moins social encore) tout en en étant proche, elle alimente un nouveau courant de centre gauche en France incarné, par exemple, par Dominique Strauss- Kahn et Ségolène Royal. Ce courant, considérant la mondialisation actuelle comme un atout enrichissant et stimulant, a l’avantage de séduire les classes moyennes urbanisées, intermédiaires et supérieures, mais prend le risque d’accroître la rupture avec les catégories populaires, ne défendant pas en priorité leurs intérêts.
A l’opposé, le « socialisme radical antilibéral » est une deuxième piste. Consistant à critiquer le capitalisme (régime économique et social fondé sur l’appropriation privée des moyens de production) et le libéralisme (doctrine selon laquelle la liberté économique, le libre jeu de l’entreprise ne doit pas être entravé), non seulement ses excès, mais le système lui-même, considéré comme engendrant de manière nécessaire des inégalités sociales, cette doctrine contestataire ne prône certes pas la société administrée de « type communiste » de l’époque soviétique et une économie entièrement nationalisée, mais reste d’inspiration marxiste, tient pour central le concept de « luttes de classes », demeure favorable à un Etat fort, exempt de toute critique, et prônent en même temps des valeurs socialistes libertaires. Elle s’apparente à une sorte de synthèse entre le jauressisme et le guedisme, autrefois défendue par le courant de gauche de la SFIO, le CERES, et les communistes français, et incarné aujourd’hui par l’extrême- gauche du PS (clubs de J.L. Mélenchon, de Marc Dolez), les communistes, les Verts radicaux et les alter mondialistes, bref, ce l’on appelle « la gauche antilibérale ».
Ce courant de pensée, qui se cantonne souvent à un rôle critique, tribunitien, incantatoire et compassionnel, aurait l’avantage d’attirer plutôt les classes populaires urbaines (employés, ouvriers), mais risquerait fort d’écarter de manière durable les classes moyennes, peu sensibles à ce discours trop schématique à leurs yeux
Or le PS n’est pas condamné à choisir une pente libérale ou « antilibérale ». Une troisième voie, certes étroite, est possible : « la social-démocratie ». Cette orientation s’inspire du jauressisme (défense des intérêts de classe, union des ouvriers paysans et couches moyennes, défense des droits de l’homme et des libertés républicaines, d’une humanité réconciliée, démocratique et fraternelle) et combine l’héritage de Blum, de Mendès- France et de Mitterrand. A la fois critique et gestionnaire, elle s’inspire du keynésianisme plutôt que du marxisme sur le plan économique (relance de la consommation), prône l’économie mixte (mi libéral-mi étatique), revisite le « concept de luttes de classes », en le considérant comme un des éléments d’explication de la vie sociale, et non comme le moteur principal de l’histoire, et critique le néolibéralisme.
Cette voie conjuguerait Etat volontariste, justice sociale, solidarité, laïcité, et parlementarisme. Elle ne se contenterait pas de corriger les excès de la mondialisation libérale, du capitalisme financier, et les désordres à venir elle empêcherait leur apparition. Elle aurait le double mérite d’éviter la droitisation du PS et une gauchisation stérile, et permettrait de séduire autant les catégories populaires que les catégories moyennes, tout au moins ses fractions inférieures et moyennes, c’est-à-dire les deux tiers des Français. Elle aurait enfin l’avantage d’assurer une réunification de la gauche (sociaux-démocrates, radicaux, républicains socialistes, chrétiens progressistes), de mettre fin au « Congrès de Tours », et annoncerait l’avenir d'une Troisième Gauche. Des figures au PS, tels Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli, des rénovateurs communistes, des Verts et des alter mondialistes modérés pourraient incarner cette voie.
Non, la Gauche n’est pas morte. Les hommes de gauche sont condamnés par l’histoire à évoluer, et doivent dépasser leurs querelles byzantines, qui, si elles avaient un sens jusqu’à l’implosion de l’Union Soviétique, n’en ont plus guère aujourd’hui dans une économie libérale mondialisée, où les valeurs marchandes et hyper individualistes semblent triompher, au détriment de projets et progrès collectifs./.
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