Alain Dinin, PDG du premier promoteur immobilier de France s'interroge sur les objectifs contradictoires affichés par le gouvernement en matière de politique du logement.
Tribune dans Libération 26 juillet 2007
Le logement est enfin une cause nationale ! 500 000 logements par an, dont 120 000 logements sociaux, 70 % de propriétaires. Merci, monsieur le Premier ministre, Voilà, un objectif clair ! La déduction des intérêts d’emprunt n’est pas une fin en soi, et on sait que l’effort doit être plus profond, plus complet. Le nombre de logement est insuffisant, avec des capacités de production réduites.
En 2007, nous construirons moins qu’en 2006. La pénurie de logements va s’aggraver face à une demande de logements croissante. Nous sommes en pleine contradiction, on s’inquiète du ralentissement de la hausse des prix, mais on déplore l’exclusion croissante de ménages dont la solvabilité se détériore. On dénonce la vente à la découpe, mais l’on regrette le retrait des investisseurs institutionnels qui régulaient le marché locatif. On déplore les formes urbaines criminogènes, mais personne n’ose réellement la densité. On manque cruellement de moyens pour satisfaire la demande sociale de logements, mais l’on cloisonne l’intervention publique et privée.
A croire que les marchés immobiliers ne seraient structurés que pour être en déséquilibre. Autant le dire clairement, la France n’est pas organisée pour répondre durablement aux évolutions de la demande de logements. Au lieu d’étaler progressivement la production de l’offre, nous sommes aujourd’hui contraints de l’accélérer pour répondre à la réduction du nombre de personnes par ménage, la mobilité accrue, le dynamisme démographique, l’immigration. autant de facteurs qui conduisent à une augmentation du nombre des ménages deux fois plus rapide que celle de la population.
A cela, il faut ajouter l’impact des politiques publiques, et notamment les opérations de rénovation urbaine avec les démolitions constructions, démarrées grâce à la volonté de Jean-Louis Borloo, mais elles ne suffiront pas, pas plus que toute la déductibilité des intérêts d’emprunts. La question n’est donc pas aujourd’hui du réalisme de l’objectif de 500 000 logements neufs, dont 120 000 logements sociaux. Elle n’est pas non plus celle de savoir si l’on doit faire de la France un pays de propriétaires et répondre aux aspirations profondes des Français, montrées depuis des années par tous les sondages successifs, quelle que soit la tranche d’âge ou le niveau de revenus. La question est : comment y parvenir ? Face à de telles situations, quatre chantiers doivent s’ouvrir prioritairement, celui de la matière première, celui de la capacité de production, celui de la diversité des logements proposés et celui du prix.
En matière immobilière, la matière première, c’est le foncier constructible. Il est insuffisant dans de nombreuses municipalités. Non par absence de volonté, mais souvent par absence de moyens de traitement des autorisations de construire, ou encore par faiblesse des capacités de financement des infrastructures. Certaines collectivités locales en sont réduites à «mettre aux enchères» le foncier au plus offrant.
L’Etat doit mieux accompagner les collectivités locales dans les défis urbains actuels, notamment par sa capacité à produire des infrastructures. Il faut encourager les maires bâtisseurs. On sanctionne les collectivités locales dont le parc immobilier compte moins de 20 % de logements sociaux, ne devrait-on pas plutôt sanctionner celles qui ne délivrent aucune autorisation de construire dans les principales zones d’habitat ?
Avec des carnets de commandes saturés, des insuffisances croissantes de main-d’œuvre et d’encadrement dans tous les corps de métiers, il est illusoire de penser que les entreprises de bâtiment resteront compétitives en matière de prix et de délais, accentuant ainsi la hausse des prix et la baisse de cadence des mises en chantiers. Il faut donc poser la question de la densification urbaine, même si les élections municipales approchent. Les Français peuvent comprendre qu’il est plus facile et plus économique d’ajouter un étage plutôt que de construire un deuxième immeuble.
La mixité de la société française passe par la mixité urbaine. Il faut en finir avec le cloisonnement public-privé et ouvrir la construction de logements sociaux à l’intervention conjuguée des promoteurs privés, en exigeant d’eux des engagements clairs et précis sur les prix. Il faut en finir avec la ségrégation spatiale qui rejette le logement social d’un côté et le logement privé de l’autre. Il faut avant tout des logements pour des familles aux revenus différents.
Si l’accession doit être encouragée, le logement social soutenu, le logement locatif conserve toute son utilité et les dispositifs qui le soutiennent et fonctionnent parfaitement doivent être maintenus. La pénurie d’offre locative aurait de graves conséquences sur le court terme, non seulement socialement mais économiquement en freinant les mobilités professionnelles et le logement des jeunes actifs. L’économie du logement est aujourd’hui plus orientée sur la rotation des stocks que sur la production et la mise en location, il faut changer d’approche et remettre les institutionnels en scène.
On ne peut attendre indéfiniment un ajustement des prix des logements, la baisse n’interviendra que si l’offre est supérieure à la demande, c’est loin d’être le cas. La première mesure fiscale est positive, mais elle ne donnera son plein effet que si elle est renforcée pour les acquéreurs aux revenus modestes. Pour accroître la solvabilité de ces derniers, il faut généraliser par exemple des mécanismes permettant une dissociation du foncier et du bâti. Aucun propriétaire d’un appartement ne revendique la possession des quelques millièmes de terrain sur lequel est construit l’immeuble. Aucune collectivité publique ne peut voir d’inconvénients à déployer une politique foncière de long terme.
Face à cette crise du logement en France, il faut recréer une dynamique de l’offre. Les acteurs sont prêts à se mobiliser, les Français l’attendent, chacun a pris conscience que le logement est une cause nationale et doit s’affirmer comme telle.
Entre la décision d’une collectivité de réaliser un programme de logements et la livraison de ces derniers à leurs occupants, il s’écoule près de cinq ans. C’est également la durée d’une législature pour démontrer que l’on peut, par des actes politiques forts, inverser durablement le cours des événements.
Alain Dinin, pdg de Nexity