Le sénateur PCF de Seine-et-Marne, Michel Billout, a participé à une mission aux conclusions accablantes sur la libéralisation de l’électricité en Europe.
Entretien réalisé par Sébastien Crépel , l’Humanité du 9 Juillet 2007.
Comment est née la mission d’information sur la sécurité d’approvisionnement électrique en Europe ?
Michel Billout. Le samedi 4 novembre 2006 à 22 h 10, qui n’est pas une heure de forte consommation d’énergie, une panne de courant a touché quinze millions de foyers en Europe, dont quatre millions en France, suite à une manipulation sur le réseau allemand. À la demande du groupe communiste, républicain et citoyen (CRC) au Sénat, une mission d’information a vu le jour, composée de toutes les sensibilités, pour investiguer sur la sécurité d’approvisionnement énergétique de la France dans un réseau européen extrêmement interconnecté.
Ses conclusions, rendues publiques la semaine dernière, sont un vrai pavé dans la mare du gouvernement…
Le constat le plus effrayant est que la plupart des pouvoirs publics considèrent que ce n’est plus aux politiques de décider. À partir du moment où on laisse le choix aux sociétés privées, elles investissent dans les centrales thermiques à gaz, au détriment des enjeux environnementaux et de l’indépendance énergétique de l’UE. Nos investigations concluent au besoin d’une forte maîtrise publique de l’énergie en France et en Europe, sinon la sécurité d’approvisionnement ne sera plus garantie.
Cela va à l’encontre du discours libéral qui fait appel au privé pour développer le secteur ?
Il y a un fort besoin de recherche pour hâter la mise en service des réacteurs nucléaires de quatrième génération, pour produire de l’énergie propre avec du charbon, etc. De tout cela, le privé est totalement absent. Son niveau est celui de l’investissement immédiatement rentable. Le nucléaire, dont le retour sur investissement n’intervient qu’au bout de trente ans, intéresse peu d’entreprises, sauf pour revendre cette énergie au prix le plus haut. Car le niveau du prix de l’électricité sur le marché est fixé par le mode de production le plus coûteux, parfois quatre fois plus que celui d’origine nucléaire… Autrement, ces modes ne pourraient plus fonctionner. Cela a amené la mission à défendre le maintien des tarifs réglementés.
Où est l’intérêt des consom- mateurs, à qui on fait miroiter une baisse des prix avec la concurrence ?
Sur la durée, on constate toujours une augmentation des tarifs et la perte de la péréquation tarifaire. Quant à la tarification sociale, n’en parlons pas… C’est une modification considérable des conditions d’accès à l’énergie. On a auditionné des industriels électro-intensifs qui disent avoir constaté entre 2002 et 2007, sur le marché de gros de l’énergie en Europe, une augmentation des prix de 107 % Quand l’énergie est une matière première, on voit dans quelles difficultés la concurrence place ces entreprises, avec des risques de délocalisation.
Comment s’explique le consensus des membres de la mission ?
Par l’évidence des faits. Le groupe communiste au Sénat n’a eu de cesse de réclamer un bilan contradictoire de la libéralisation. Les auditions de la mission, les rencontres de centaines de personnes en Europe, ont permis de toucher du doigt les effets de ces politiques. Même un sénateur UMP est forcé d’en conclure que l’électricité n’est pas un bien comme les autres, à moins de se boucher les yeux et les oreilles. Mais il reste de la place au débat, sur la maîtrise publique par exemple. Nous, communistes, disons 100 % public. D’autres diront que 51 % suffisent. Les conclusions ne vont pas jusqu’à la création d’un pôle public européen de l’énergie, elles se contentent d’un encadrement très fort du marché.
Le gouvernement et l’Europe doivent-ils revoir leur copie ?
La mission doit rencontrer Jean-Louis Borloo, pour lui proposer d’agir à la veille de la sortie du troisième « paquet » de directives énergétiques et de la présidence française de l’UE. Il faut une politique commune de l’énergie en Europe basée sur une maîtrise publique et la solidarité dans les interconnexions frontalières, de façon qu’elles servent à réalimenter un pays et non à commercer. Cela est clairement dit dans le rapport de la mission, et va totalement contre les propositions de la Commission de Bruxelles.
Que pensez-vous de la fusion GDF-Suez en projet ?
Nous avons limité nos investigations au secteur électrique. La mission souhaite que l’opérateur nucléaire reste public. Or la fusion GDF-Suez va à l’encontre, puisqu’elle crée le principal concurrent à EDF avec Suez, déjà producteur privé d’électricité nucléaire./.