Dans les partis d'opposition, une floraison de nouveaux « clubs » se propose de repenser le logiciel de la gauche. Après une année de campagne, voici venu le temps de la réflexion. Henri Weber et Alain Bergougnoux expliquent le rôle et l'importance de ces structures.
Source : Marianne2007.info
Marianne2007.info : Quelle est le rôle des clubs dans l'histoire de la gauche ?
Henri Weber : Ce sont des lieux où les politiques, les intellectuels et les experts peuvent réfléchir. Leur rôle consiste à bien définir, à chaque nouvel âge du capitalisme et de la démocratie, ce qui est « souhaitable » dans les conditions du moment. Après, ce sera aux politiques de voir comment rendre possible ce « souhaitable ».
Alain Bergougnoux : Rien qu'au Parti socialiste, il y en a des centaines, voire des milliers, je ne saurais même pas dire combien. Tous ne sont pas également productifs, mais ceux qui comptent nourrissent le Parti, l'alimentent en idées. On les voit refleurir à chaque génération. Aujourd'hui, c'est la troisième vague. Cela a commencé dans les années 1960, avant l'unité du PS : François Mitterrand s'est appuyé sur Alain Savary et le Ceres, un club créé par Jean-Pierre Chevènement au sein de la SFIO avec une forte charge idéologique. Cela a abouti, dans les années 70-80, à une deuxième génération dans la perspective de l'élection présidentielle. Avec les années 2000, on assiste à une rupture générationnelle. La volonté de créer des outils nouveaux, hors des anciennes lignes idéologiques, ne concerne pas que le Parti socialiste, mais toute la gauche, Parti communiste compris.
Pourquoi voit-on actuellement fleurir de nouveaux clubs ?
HW : Parce qu'on est à une période charnière : la gauche doit faire face à un capitalisme mondialisé et dominé par la finance, alors que celui qu'on connaissait jusque-là était national et industriel. Ce nouveau capitalisme nous trouve assez démunis sur le plan des instruments d'action.
AB : Après cette année d'élection présidentielle, on constate un vrai désir de rénovation idéologique. Il y a aussi un renouveau générationnel, de nouvelles personnalités veulent s'affirmer : créer un club est un bon moyen pour ça. Et puis, surtout, grâce aux nouvelles technologies, il est très facile de créer une structure. Une page Web, c'est vite fait, et ça ne coûte pas grand-chose. Toute la question est de savoir si ces clubs vont se pérenniser : certains risquent de se fondre dans la masse des clubs existants. Le manque de moyens et la difficulté de réunir un réseau d'intellectuels sont les grands freins de ce type de clubs.
Ces clubs ont-il vraiment pu peser par le passé dans la vie politique française ?
HW : Il y a eu des clubs très importants, comme la Fondation Saint-Simon par exemple, à l'époque où elle était dirigée par l'historien François Furet. Dans les années 60, c'est grâce à des structures comme le club Jean Moulin qu'on a pu penser les transformations essentielles de la société. C'était la fin l'empire colonial, la France était réduite à l'Hexagone. On voyait apparaître des contradictions structurelles du capitalisme avec, d'un côté, une grande modernisation technologie et économique et, de l'autre, des relations de pouvoir archaïques. Cela a produit le cocktail explosif que l'on sait : mai 68.
AB : Il y a des exemples très concrets de l'influence des clubs sur les programmes et les politiques. Dans les années 80, par exemple, le club « Echanges et Projets » dirigé par Jacques Delors et Michel Rocard a permis de faire émerger des idées comme le RMI ou la CSG !
Est-ce qu'il n'y a pas aussi des enjeux de pouvoir dans tous ces cercles de réflexion ?
HW : Il faut distinguer plusieurs sortes de clubs. Il y a les lieux de réflexion, comme La République des idées : ils regroupent des intellectuels qui mettent leur savoir au service de la démocratie. Il y a aussi les courants idéologiques : l'ex-gauche socialiste, l'ex-Nouveau Parti socialiste (NPS) en sont quelques exemples. Et puis il y a d'autres clubs, qui sont souvent acollés à des courants du PS, qui sont des structures périphériques d'écuries présidentielles. Ceux-là servent les idées d'un leader, son idéologie, sa pensée. C'est le cas de « Rassembler à gauche » par exemple, le club de Laurent Fabius. C'est aussi le cas de « A gauche en Europe », le club de Dominique Strauss-Kahn, ou de « Désirs d'avenir » pour Ségolène Royal.
AB : Produire des idées et faire partie d'une écurie présidentielle n'est pas forcément incompatible. Au contraire, une personnalité politique proche d'un club a la possibilité d'en relayer les propositions et de leur donner plus d'importance.
La florescence de ces clubs est-elle un bon signe pour la « rénovation » que les dirigeants socialistes appellent de leurs vœux ? Ou ces clubs reflètent-ils les divisions qui déchirent le parti ?
HW : Ne nous trompons pas : la rénovation est la tache des politiques. Les clubs, eux, s'attellent à penser le moment charnière que nous vivons. Mais ils sont eux aussi le fruit d'une crise : le vieux se meurt et le neuf a du mal à naître.