D’une manière générale, quel est le rapport des Français aux vacances ?
Jean Viard. Il y a grosso modo trois situations. Un tiers de la population ne s’en va jamais en vacances. Un autre tiers (les classes aisées) part, au contraire, très souvent. Enfin, une dernière partie, qui ne part qu’une seule fois par an, va avoir pour principale difficulté de partir quinze jours et pas seulement une semaine.
Qui sont ces personnes qui ne partent jamais ?
Il s’agit, bien sûr, des ménages « défavorisés ». Avec une nuance entre ceux qui, par exemple, viennent de perdre leur emploi et arrivent encore à partir grâce à des connaissances, des amis, et ceux qui, au contraire, ne quittent jamais leur habitation. Parmi ces derniers, on retrouve beaucoup de jeunes, mais aussi des femmes seules avec enfant ou certaines familles nombreuses. Les immigrés sont également largement concernés. Il y a enfin ces salariés du monde des PME-PMI qui travaillent à temps partiel. En outre, il faut prendre en compte une réelle disparité géographique. On continue de partir beaucoup plus en vacances lorsqu’on habite les grandes villes, plutôt que les banlieues ou le monde rural.
En 2003, une étude du CREDOC affirmait que les 35 heures n’avaient eu aucun effet sur les vacances…
Mais cette loi n’a jamais eu pour objectif de faire partir les gens en vacances ! Les Français ne partent de toute façon en moyenne que quinze jours par an. Les 35 heures devaient assouplir le temps de la semaine de la vie quotidienne des salariés. Ainsi, les classes populaires pouvaient avoir leur samedi de libre en leur permettant de s’atteler à leurs tâches domestiques (notamment les courses) pendant la semaine. Quand cela a été mal fait, c’est-à-dire en donnant une semaine entière en plus aux travailleurs, ça n’a servi à rien puisqu’ils n’ont pas les moyens de partir plus souvent ! Dès lors, la loi a eu pour effet d’avantager les classes aisées qui partaient déjà cinq ou six fois par an.
D’aucuns avancent aussi que la loi a eu pour conséquence une stagnation, voire une baisse du pouvoir d’achat pesant sur les possibilités de départ en vacances des Français…
Je ne suis pas d’accord avec ces conclusions. Il y a une nette évolution de la consommation de l’ensemble des Français depuis quinze ans. Il est intéressant de constater que la part dédiée aux téléphones portables, à l’abonnement aux chaînes câblées ou encore à Internet a très largement augmenté et a absorbé l’ensemble du budget consacré aux loisirs. Désormais, c’est vacances à la mer ou téléphone pour les enfants. Cette concurrence est problématique parce qu’il n’y a pas eu, en effet, de hausse du pouvoir d’achat. Mais ce n’est l’instauration directe des 35 heures qui est l’origine de ce problème.
Quelles solutions pourraient être trouvées pour aider les Français qui ne peuvent pas partir en vacances ?
Il n’y a plus d’action menée aujourd’hui dans ce sens. La volonté politique de gérer les vacances des moins favorisés a totalement disparu. Il n’y a du reste plus de véritable ministère du Tourisme. L’impression que tout le monde part est telle que plus aucun travail dynamique n’est fait à ce sujet. Ce n’est pas un phénomène récent. Lorsque vous analysez l’instauration des 35 heures, qui selon moi était une très bonne idée, vous vous rendez compte qu’aucune politique n’a été menée pour démocratiser le temps libre. Or ce n’est pas quelque chose qui s’apprend tout seul, notamment dans les quartiers populaires. En ne faisant rien dans ce domaine, on accroît encore les inégalités sociales.
Derniers livres de Jean Viard : Penser les vacances (Éd.de l’Aube, 2007) ; Éloge de la mobilité, essai sur le capital temps libre et la valeur travail (2006).