2 interviews de la député européenne (Ps) autour de son livre "Au revoir Royal" (Ed Perrin 13,50€). Seule une ligne franchement à gauche est capable selon elle d'arrêter "la décomposition et l'hémorragie" qui gagnent son parti. Dans le Journal du Dimanche et à Nord-Eclair, elle prend le contrepied de la complicité d'idées avec la droite que Royal a voulu incarner et elle propose aux socialistes de lutter, avec toute la gauche et sans tiédeur, pour une économie mixte et régulée par l'intervention publique, pour plus d'égalité et de nouveaux droits (comme le logement), contre le libre-échangisme actuel.
Le Journal du Dimanche 26 Août 07
Vous parlez de la campagne de Ségolène Royal comme d'une "déflagration".
Que ce soit sur la stratégie, la méthode d'action et les thèmes choisis, elle a eu faux sur toute la ligne. Elle a été imposée par les sondages et les médias. C'était un leurre. Elle a d'ailleurs joué et joue encore totalement perso. Et n'a tiré aucune leçon de la campagne. Ce qu'elle appelle son autocritique se borne à dénoncer ceux du parti qui ne l'auraient pas soutenu et l'impréparation dont elle aurait été victime. Comme toujours, elle s'épargne et ne peut pas se remettre en cause. Ce qui la rendra incapable de rebondir. Je ne lui reconnais qu'un mérite. Sa détermination au service de sa seule personne. Car elle n'a aucun sens du collectif.
Une seconde candidature Royal vous semble impensable ?
Ce qui s'est passé est irréversible. Et lorsque je dis "Au revoir Royal", c'est qu'il faut tourner la page. Sous prétexte de rénovation et de modernisme, elle a opté pour une ligne de complicité idéologique avec la droite. Avant elle, Jean-Jacques Servan-Schreiber et Gaston Defferre s'y étaient essayés. En pure perte. C'est un fourvoiement, une impasse qui prive la gauche de ses repères fondamentaux et de la victoire électorale. Elle a fait le lit de l'ouverture. Dois-je rappeler que Bernard Kouchner et Jean-Marie Bockel ont été ses premiers soutiens. Où sont-ils aujourd'hui ?
Elle a tout de même fait un score de 47 % ! En 2002, Lionel Jospin n'avait même pas dépassé le premier tour.
47 %, c'est un seuil minimal contre la droite et pourtant Ségolène Royal a bénéficié, à plein, du réflexe du vote utile. N'importe quel socialiste aurait fait ce score. Le total des voix de gauche sous Jospin a été supérieur au total des voix de gauche sous Ségolène Royal qui a fait fuir des électeurs socialistes vers Bayrou. Face à Ségolène Royal qui n'a même pas été capable de reprendre à son compte le thème de la rupture, Sarkozy a fait un des meilleurs scores jamais obtenus par la droite.
On n'a guère entendu d'autres voix que la sienne pendant la campagne. Où étiez-vous passés ?
Nous avons tout tenté pendant la phase préparatoire pour empêcher ce qui se préparait. Après c'était trop tard, nous ne pouvions pas prendre le risque de faire perdre plus encore notre camp. Ce décalage entre le PS et le peuple de gauche vient de plus loin. Déjà, on l'avait vu lors du "non" au référendum européen. Fidèle à sa tactique d'étouffoir, François Hollande stérilisait tout débat et faisait un chantage constant sur l'unité que nous devions afficher. Nous avons vécu des mois de tension interne maximum, beaucoup d'entre nous pressentaient que nous courrions à la catastrophe.
N'enterrez-vous pas un peu vite Ségolène Royal ? Elle n'a pas l'intention de laisser sa place.
Sa place, mais quelle place ? Si je ne m'attends pas à ce qu'elle tombe comme un fruit mûr, car elle va s'accrocher dur, je crois qu'elle s'illusionne lourdement sur les soutiens dont elle croit bénéficier à l'intérieur du parti. Que ce soit auprès des élus ou des militants. Les Gaëtan Gorce, Manuel Valls, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg prennent déjà, plus ou moins, leurs distances. Ce ne sont plus que des soutiens flottants, prêts à jouer leur carte personnelle dès que l'occasion s'en présentera. Ils sont encore vaguement solidaires mais ils entendent la colère des militants, le dépit de ceux qui ont l'impression d'avoir été menés en bateau, floués, anesthésiés, utilisés au service d'une seule personne et non d'une cause. Les socialistes aujourd'hui sont dans l'expectative, d'autant que la période Hollande s'achève mi-2008. Mais la relève n'apparaît pas encore.
Comment reprendre la main ?
En retrouvant nos valeurs fondamentales. En travaillant dans une dynamique unitaire : le PS, le PC, les Verts, le MDC, les militants syndicalistes, les associations de gauche. Il y a là un vivier immense, fertile, prêt à travailler, autour d'un vrai programme. Il faut parler au peuple de gauche qui est parti vers Bayrou et même vers Sarkozy par désarroi, par manque de corpus idéologique. Dans les années 1970, le total des militants de gauche représentait près de 500 000 personnes. Contre à peine 300 000 aujourd'hui. L'avenir de la gauche passe par un travail de fond que sont prêts à faire Laurent Fabius, Alain Vidalies, Jean-Luc Mélenchon, Henri Emmanuelli, Benoît Hamon. Et d'autres... Le club de réflexion Gauche Avenir se réunit mi-septembre à Paris pour reprendre l'initiative. Il faut rouvrir des débats essentiels: le refus de libre-échangisme, le retour à une économie mixte, la relance de l'industrie dans notre pays, un changement de cap en Europe, de nouveaux droits comme celui au logement, un nouveau pacte républicain... Le champ est large. Nous devons redevenir le parti du monde du travail./.
Nord Eclair 25 août 07
Comment le PS en est-il arrivé à la choisir ?
Je considère que la défaite du PS à la présidentielle est extrêmement lourde, et qu’elle est en grande partie liée au choix des thèmes de campagne que Ségolène Royal a développés. Elle est vraiment la principale responsable de cet échec. Et cela peut se constater dans l’écart de voix qu’il y a eu entre ce qu’elle a obtenu à la présidentielle (25,87 % au premier tour) et ce que le PS a récolté aux législatives (28,6 % au premier tour). Il y a un réel manque de confiance des électeurs de gauche envers elle.
N’est-ce pas un peu gros de faire reposer toute la responsabilité d’un échec sur une seule personne ?
Non, il ne s’agit pas de ça. Je cherche juste à comprendre comment le PS en est arrivé à choisir Ségolène Royal comme candidate. Le PS pouvait vraiment gagner l’élection, mais pas avec cette candidate. Avec elle, le PS n’est plus du tout en phase avec sa base sociale. Il change de nature : au lieu de représenter les ouvriers, il représente les profs de fac. À partir de là, le PS devient beaucoup plus vulnérable aux thèses libérales de la droite. On aurait dû déjà se rendre compte de ce décalage lors du référendum européen, où les électeurs de gauche ont choisi le « non ».
Comment expliquez-vous cette fragilité ?
Le PS accorde beaucoup trop d’importance aux sondages, aux médias, à la « pipolisation » de la vie politique. Les sondages disaient qu’avec Ségolène Royal, on était sûr de gagner. Alors on l’a suivie. Devant les médias, elle a joué son côté « brave mère de famille », puis « triste femme meurtrie », et tout ça a pris le pas sur les préoccupations des Français.
Vous n’épargnez pas non plus Julien Dray
J’explique comment l’opération a été pensée par lui, comment il a neutralisé Hollande pour permettre à Royal de monter. Alors qu’elle ne prenait position sur rien, qu’elle contournait tous les débats sur les questions politiques et sociales, elle continuait sa tactique. Julien Dray a beaucoup joué là-dedans, il est un très bon tacticien. Mais ça n’a pas payé.
Comment le PS peut-il gagner de nouveau ?
Il faut rassembler les forces de gauche à tout prix. Il faut aussi arrêter d’être tiède, d’être mou et engager une vraie rupture. Aujourd’hui, c’est Nicolas Sarkozy qui a le monopole de cette rupture. Il est temps de se la réapproprier. Il nous faut un vrai projet de gauche, qui accepte le libre-échange mais qui défende une vraie intervention publique. Pour les municipales de 2008, je demande des listes de gauche qui incluent les associations, les clubs, les syndicats... Il faut nous rapprocher de la gauche hors parti, qui est une vraie force vive. Le PS pouvait vraiment gagner l’élection présidentielle, mais pas avec cette candidate. Avec Ségolène Royal, le PS n’est plus du tout en phase avec sa base sociale./.
blog de Marie-Noëlle Lienemann