Refondation ou changement de nom ? Derrière tous ces mots que les socialistes, jeunes ou moins jeunes, lancent comme autant de gages de bonne volonté mais également de signaux de détresse, c’est la question des raisons et de la durée de notre disgrâce qui est posée après une nouvelle défaite à l’élection présidentielle.
Tribune du député socialiste du Gers, parue dans Libération du 24 août
Nul n’en connaît aujourd’hui le terme. Cinq ans ? Dix ans ? Les plus pessimistes — ou les plus pressés — ont tranché en gagnant dare-dare les lignes ennemies, seules capables d’apaiser leur angoisse de disparaître. Mais ces aventures individuelles, rebaptisées pour la circonstance «intérêt supérieur de la nation», sont anecdotiques.
Pour l’avenir, tout dépendra de nous et de l’honnêteté avec laquelle nous tenterons de comprendre ce qui a pu conduire un parti ayant incarné pendant tant d’années le changement, l’espoir et le progrès, à être aujourd’hui rejeté par plus de 50 % des Français. Comprendre pourquoi ses dirigeants, à force de querelles recuites, de débats non tranchés et d’un goût parfois immodéré pour les plans de carrière à court terme sont devenus, à leur corps défendant, les acteurs de nos déconvenues. Cette approche suppose que nous admettions, par principe, qu’une critique n’est pas un procès et qu’un tabou qu’on a pas le courage d’aborder, demeure un frein dans cette quête de vérité.
Le discrédit collectif qui nous frappe est injuste pour ces centaines d’élus locaux socialistes qui font leur travail dans la fidélité à leur engagement de jeunesse et inventent au quotidien un socialisme de proximité. Seulement voilà, l’addition de nos expériences locales, fussent-elles régionales, ne saurait constituer le grand projet que les Français nous réclament. Nos compatriotes veulent un horizon et des propositions concrètes pour améliorer leur vie quotidienne. Ils veulent aussi les mots pour comprendre où nous allons. Nicolas Sarkozy a gagné la bataille idéologique, il a aussi remporté la bataille sémantique en rendant intelligibles ses propositions quand les Français en étaient à se demander si nous croyions aux nôtres. Ordres, contre ordres, difficile d’y voir clair et d’avancer droit dans ces conditions. Voilà le premier défi à relever, celui de la clarification. Clarification des priorités, clarification du discours, lesquelles conduiront naturellement à une clarification des alliances. Pour y parvenir, il nous faut d’abord dresser la liste des obstacles supposés à cette entreprise.
Est-ce un problème de génération ? Le charme des têtes nouvelles, souvent bien faites, le fantasme de la feuille blanche et des bonnes résolutions de début d’année, conjugués au toujours très populaire «sortez les sortants», fait de la «rénovation par l’âge» l’exutoire commode de notre embarras. C’est un peu court. Est-ce une question de travail ? Si tel était le cas, c’est plus l’absence de tri que la quantité et la diversité qui aura fait défaut. Ayant dit tout sur tout - y compris son contraire - nous serions bien inspirés de convier à nouveau à notre table ces experts trop vite remerciés, et retrouver avec eux une crédibilité sans laquelle rien de solide ne pourra se construire.
Est-ce un problème d’identité socialiste ? C’est s’interroger sur la composition sociologique du Parti socialiste et se demander quelles sont les catégories sociales que nous voulons, en priorité, représenter et défendre. Exercice délicat, tant l’hétérogénéité de notre «corps militant» s’est accrue avec les années et le rythme soutenu des alternances pouvoir opposition. Les militants des quartiers populaires ou des territoires ruraux dont l’adhésion remonte aux débuts des années 70 et qui restent souvent très attachés à l’union de la gauche, cohabitent désormais avec des adhérents plus récents qui nous apportent un regard neuf et des idées utiles, mais qui bouleversent aussi - ayons le courage de le dire - nos habitudes en subordonnant la marche des affaires aux circonstances, qu’il s’agisse de la ligne politique, de l’ordre de nos priorités ou des alliances futures. L’objectif d’un parti de masse est un objectif juste et souhaitable, mais il porte en germe des difficultés supplémentaires, qui tiennent à la formation et à l’éducation de ses militants, ainsi qu’à la cohérence de son expression.
Est-ce une question de ligne politique ? A quoi bon le nier, les divergences idéologiques sont importantes au Parti socialiste. Sont-elles surmontables ? Pas sûr. En tout cas, pas à n’importe quel prix ! Entre ceux qui continuent de penser que les écarts entre classes sociales grandissent et justifient la poursuite de l’esprit de lutte, et ceux qui se résignent à n’avoir pour seul objectif que d’atténuer les effets de la mondialisation, le claquage idéologique nous guette à chaque congrès. Ce n’est pas parce que nous en avons dévalué le sens que la «synthèse» est devenue un vilain mot, mais chacun voit bien que le consensus à tout prix n’est plus défendable, ni opérant. Il aboutit presque toujours à l’affadissement de notre discours, nourrit du ressentiment chez ceux qui estiment avoir trop concédé et suscitent la défiance de nos électeurs.
Est-ce une question d’ambitions personnelles, à la fois trop nombreuses et mal maîtrisées ? La question renvoie à l’obligation faite à un parti moderne ayant vocation à exercer le pouvoir, d’identifier clairement et suffisamment à l’avance son leadership. Parce que nous avons trop de talents (version optimiste), parce qu’aucun ne se distingue assez (version pessimiste), parce qu’il y a trop de «Sarkozy de gauche autoproclamés» (version actuelle), nous échouons régulièrement sur cette question et rien n’indique que nous ayons trouvé la solution. Et pourtant, si aucun de ceux ou de celles qui estiment avoir l’étoffe et la légitimité ne renonce à sa propre ambition dans un acte forcément sacrificiel, alors nous perdrons, encore, et ce quel que soit le talent de celui ou de celle qui nous représentera in fine. La sélection démocratique qui nous a permis de choisir notre candidat pour 2007, a montré ses limites et a révélé ses dangers. Et même si la question fait débat, il paraîtrait logique que, le moment venu, le premier des socialistes, adossé à un projet partagé et porté par tous les militants, soit reconnu par les Français comme le candidat de l’alternance à gauche.
Il n’est pas facile d’être socialiste aujourd’hui, et c’est peut-être là l’explication centrale de la mauvaise passe dans laquelle nous sommes depuis 2002. Une société où l’on célèbre chaque jour d’avantage la réussite individuelle au détriment de l’engagement collectif, des citoyens résignés par un discours mondial déniant aux hommes politiques la capacité de peser vraiment sur le cours des choses et la vie des gens sont plus propices au renoncement et à la capitulation qu’à la renaissance et au combat. Raison de plus pour le mener !Dans un tel contexte, persuader les Français de l’utilité de la proposition socialiste, les convaincre de nous faire à nouveau confiance relève de l’exploit. Il faudra donc travailler, trier, clarifier, faire approuver et assumer avec fierté et détermination. A la veille de l’ouverture de la Coupe du monde de rugby, ajoutons-y l’utilité pour les socialistes de s’inspirer des valeurs de ce jeu où le «vivre ensemble» est la clef du succès et où l’on gagne, même lorsque l’adversaire est redoutable, en faisant preuve d’humilité et de respect, d’amitié et de sens du sacrifice, bref de fraternité./.
Il n’est pas facile d’être socialiste aujourd’hui, et c’est peut-être là l’explication centrale de la mauvaise passe dans laquelle nous sommes depuis 2002. Une société où l’on célèbre chaque jour d’avantage la réussite individuelle au détriment de l’engagement collectif, des citoyens résignés par un discours mondial déniant aux hommes politiques la capacité de peser vraiment sur le cours des choses et la vie des gens sont plus propices au renoncement et à la capitulation qu’à la renaissance et au combat. Raison de plus pour le mener !Dans un tel contexte, persuader les Français de l’utilité de la proposition socialiste, les convaincre de nous faire à nouveau confiance relève de l’exploit. Il faudra donc travailler, trier, clarifier, faire approuver et assumer avec fierté et détermination. A la veille de l’ouverture de la Coupe du monde de rugby, ajoutons-y l’utilité pour les socialistes de s’inspirer des valeurs de ce jeu où le «vivre ensemble» est la clef du succès et où l’on gagne, même lorsque l’adversaire est redoutable, en faisant preuve d’humilité et de respect, d’amitié et de sens du sacrifice, bref de fraternité./.