Quatre mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, quels sont les enjeux ? Les coups pleuvent comme à Gravelotte. Mais les difficultés peuvent arriver plus vite que prévu pour le pouvoir. Pourtant la riposte se fait attendre. La gauche va-t-elle rester dans l’état dans lequel elle est aujourd’hui ? Comment organiser cette riposte ? Sur quels thèmes, quelles questions prioritaires ? Avec quelles propositions ?
Compte rendu réalisé par Dominique Bègles, Sébastien Crépel et Jacqueline Sellem, paru dans l'Humanité du 17 septembre 2007.
Cécile Duflot. Se retrouver tous ensemble ne permet pas toujours d’éviter le pire. Le soir du 22 avril tous les candidats de gauche ont appelé à voter Ségolène Royal. Certains d’entre nous avaient averti que miser sur un référendum anti-Sarkozy ne suffirait pas si on ne démontrait pas qu’on était capables de porter ensemble un projet. Et maintenant on ne peut pas se contenter de dire : on en a pris pour dix ans ! Nous avons la responsabilité de ne pas nous retrouver dans la même situation. Je ne désespère pas de convaincre certains d’entre vous que le projet écologiste répond aux urgences climatiques, aux urgences de la planète et qu’il est le seul vrai projet de transformation sociale, celui qui permettra de résoudre les inégalités à l’échelle du monde et en France. Il est le seul valable pour la gauche au XXIe siècle. Nous avons à construire ce projet, à montrer qu’en 2012 nous serons en capacité de travailler ensemble. Et il faut donc commencer dès maintenant. Nous sommes en opposition avec la politique de casse sociale de Nicolas Sarkozy, avec l’image très inquiétante qu’il commence à donner de la France dans le monde. Mais ce n’est pas parce que nous sommes côte à côte à une tribune que cela va suffire pour riposter. Il faut travailler sur le fond, revivifier le projet de la gauche. C’est le sens de ma présence ici : se dire les choses en toute franchise pour qu’un 6 mai ne se reproduise plus.
Olivier Besancenot. Merci au PCF et à l’Humanité de cette invitation. Il était temps, en cette rentrée, de nous réunir pour faire le point sur ce qui nous rassemble sans esquiver ce qui nous divise. Pour agir ensemble contre la droite et le MEDEF. Un rouleau compresseur libéral s’est mis en place avec l’élection de Sarkozy. Mais avec les difficultés économiques et financières qui s’amoncellent, l’état de grâce risque de ne pas durer. Je ne lis pas dans le marc de café mais je suis à peu près sûr qu’il y aura des luttes dans le prochain trimestre. Peuvent-elles être victorieuses ? Lorsque Sarkozy aura endormi tout ce qu’il aura pu dans la gauche politique puis dans la gauche syndicale, il va tomber sur un os, sur des gens qui ne veulent pas se laisser faire. C’est là que les gauches doivent, ensemble, être réactives, unitaires. L’heure n’est pas aux tergiversations. Quand ce gouvernement vomit sur l’ensemble des acquis sociaux, sur le droit de grève, les services publics, la Sécu, le Code du travail, quand on le voit se préparer à ficher sur ADN les immigrés, quand on voit les expulsions de sans-papiers… on se moque de savoir si on risque de perdre des voix aux prochaines élections, on résiste. Et aujourd’hui, malheureusement, la principale force de la droite ce n’est pas Nicolas Sarkozy, c’est la faiblesse de la gauche. Marie-George, la première, a proposé une rencontre, mardi prochain, pour préparer la riposte. Nous répondons présent, sans équivoque. Mais il faut pour cela en terminer avec le tout ou rien qui conditionne des initiatives unitaires à d’hypothétiques alliances politiques sur le projet gouvernemental. Nous pensons qu’il y a deux gauches dans ce pays. L’une s’accommode de l’économie de marché, l’autre est prête à la renverser. Mais, à moins d’être sectaire, cela ne doit pas nous empêcher d’agir ensemble face à la droite.
François Hollande. Si on veut gagner les luttes - car il faut des luttes - et les élections - car il faut des élections -, ce sera tous ensemble. Je ne suis pas là pour jeter l’exclusive par rapport à tel ou tel. Si on commence à imaginer une riposte à la droite en pointant ici la responsabilité de celui-ci ou de celle-là, comment pourra-t-on vaincre ? Face à nous, on a une droite unie, y compris avec l’extrême droite, et un président qui mène sans complexe une politique de droite. Alors la première condition, si on veut être forts, utiles, c’est d’être unis, non pas sur un projet qui n’existe pas aujourd’hui mais pour mettre un coup d’arrêt à ce qui se passe. Voilà l’engagement que je suis venu prendre devant vous. Et on a besoin de toutes les formations de la gauche, y compris de la gauche de la gauche. Pense-t-on que les luttes viendront spontanément s’il n’y a pas des forces politiques et sociales qui se mettent en mouvement ? Pensez-vous que les citoyens seuls s’en sortiront face à ce pouvoir ? Au-delà de la riposte indispensable, il faut travailler ensemble sur les propositions, sur une perspective. Je pourrais dire : le Parti socialiste peut s’en sortir seul ! Il ne s’en sortira pas seul. Oui il faut résister, mener des luttes contre la remise en cause des acquis sociaux, du droit de grève, du droit à la protection sociale, des régimes de retraite. Mais il faut aussi que l’on prenne toutes nos responsabilités. Les élections municipales, on peut dire : ce n’est pas important ! Mais si ! c’est important pour la vie de beaucoup de nos concitoyens. Je suis pour des listes de rassemblement, le plus largement possible, de la gauche. Nous ne sommes pas là pour attendre cinq ans ou pour attendre les luttes, mais pour agir et être utiles.
Marie-George Buffet. Ce débat est un événement, je suis fière que ce soit la Fête de l’Humanité qui l’accueille. Nous devons nous placer en état de mobilisation générale. Nous n’avons pas, face à nous, une droite ordinaire, mais une droite qui veut aller beaucoup plus loin encore dans la casse des acquis sociaux, des acquis démocratiques. Une droite qui porte atteinte aux droits de l’homme, qui humilie des hommes et des femmes venus ici en quête de liberté et de dignité. Cette droite, il faut la combattre. Or cela fait des semaines qu’on a l’impression qu’il n’y a plus de gauche dans ce pays. Eh bien, aujourd’hui, la gauche se lève à la Fête de l’Humanité ! Et nous allons continuer. Il faut agir. Mais il faut aussi travailler, c’est pourquoi je vous propose que mardi, le jour où Nicolas Sarkozy fera son discours sur la politique prétendue « sociale » du gouvernement, toutes les forces de gauche se retrouvent. Et que le soir nous annoncions de premières initiatives d’ampleur. Mais cela ne suffira pas parce que, nous le savons tous ici, beaucoup d’hommes et de femmes sont découragés, ne voient pas comment faire autrement. Il faut leur prouver qu’on peut modifier le financement des retraites en changeant les cotisations des entreprises, en pénalisant celles qui font le choix de la finance. Qu’on peut avoir plus de maîtres dans les écoles si on fait une réforme de la fiscalité et qu’on arrête de faire des cadeaux aux grandes fortunes. Qu’il est possible de permettre à chacun et chacune de vivre dignement là où il le souhaite si on s’attelle à une véritable politique du codéveloppement. Oui il y a des points de divergence, mais travaillons ensemble pour redonner l’espoir à notre peuple. Est-ce que, oui ou non, la gauche se lève face au capitalisme mondialisé ? Est-ce, oui ou non, tous ensemble que nous exigeons un référendum sur le traité européen ? Beaucoup d’hommes et de femmes sont prêts à faire le chemin avec nous. L’espoir peut revenir. Sarkozy aura alors de mauvais jours devant lui.
La gauche a buté sur son manque d’unité mais aussi idéologiquement. Il y a des doutes dans le peuple, des interrogations sur la crédibilité d’une autre politique, des avis différents sur les priorités. Quelles sont les vôtres ? Comment pensez-vous convaincre qu’une autre politique est possible quand Sarkozy s’appuie sur l’idée que la mondialisation rend impossible une autre gestion du monde ?
Cécile Duflot. Je veux dire à Olivier que j’ai plein de souvenirs de luttes communes : avec les sans-papiers de Cachan, contre l’EPR à Cherbourg, je connais même les paroles de l’Internationale. Mais refuser de discuter en disant : vous imposez le tout ou rien, ne me satisfait pas. Ce qu’il faut c’est résister et construire. Et à François Hollande, je veux dire que c’est au mois de mai que nous avions dit que le PS ne pourrait pas gagner seul. Maintenant, on est tous d’accord, ce que fait Sarkozy est une catastrophe. C’est facile d’applaudir et de se faire applaudir sur ce thème. Mais pour répondre au projet destructeur de la droite - et une écologiste sait qu’elle n’a rien à attendre de ce côté-là, dans un Grenelle ou ailleurs - il faut construire un projet commun, discuter des sujets qui fâchent.
Olivier Besancenot. Si, ici, on prend l’engagement de se voir mardi et de résister ensemble, ce sera déjà énorme. Cela aura un sens pour tous, quels que soient nos désaccords politiques. Nicolas Sarkozy cible la rentrée sociale sur les régimes spéciaux. Et sur ce sujet, nous avons à discuter mais aussi simplement à résister. Est-ce que, oui ou non, toute la gauche, du PS à l’extrême gauche sans exclusive, et les organisations syndicales envisagent une initiative pour dire : ne touchez pas aux régimes spéciaux parce que derrière c’est tout le système des retraites qui est visé ?
L’intitulé de cette rencontre c’est : quel avenir pour la gauche. Mais je voudrais qu’on parle de quel avenir pour quel type de gauche ? On doit discuter du bilan des uns et des autres. Sur le fret, pas de problème, ça passe par la défense du service public, par s’attaquer à la Commission de Bruxelles, au traité européen… Je propose de changer de gauche, pas simplement la gauche. L’heure est venue de rassembler au-delà des histoires des uns et des autres tous ceux et celles qui pensent qu’une autre - société que le capitalisme est possible, tous ceux qui pensent que pour combattre la droite efficacement il nous faudra autre chose qu’une nouvelle union de la gauche molle qui sera peut-être sponsorisée par le Modem.
Il y a débat entre vous : faut-il construire une gauche de riposte ou une gauche de projet ? Les deux exigences sont-elles compatibles ?
Marie-George Buffet. Si nous voulons développer les luttes, il faut débattre des propositions alternatives à construire ensemble. Aujourd’hui pèse l’idée qu’il ne serait pas possible de faire autrement. Dépasser le capitalisme à l’origine de tant de souffrances, cela passe par des propositions concrètes : gagner de nouveaux droits pour les salariés dans les entreprises, des droits démocratiques et politiques d’intervention pour les citoyens… Ces mesures doivent être inscrites dans des lois, cela passe par la mise en échec du nouveau traité européen qui n’est que la répétition de la constitution européenne que notre peuple a rejetée. Il faut à la fois riposter et élaborer une nouvelle alternative à gauche. Faisons-le ensemble. N’opposons pas les luttes et le travail sur le projet. J’ai entendu ce qu’a proposé François Hollande pour les élections municipales : d’accord pour une union de la gauche dès le premier tour pour battre la droite.
François Hollande. Notre débat avance, cela prouve qu’il est utile. Nous sommes tous d’accord pour que mardi, les forces de gauche se retrouvent pour riposter à la politique de Nicolas Sarkozy. On y sera tous. Mais il ne faut pas uniquement débattre des régimes spéciaux de retraite. Ce serait tomber dans le piège que nous tend Nicolas Sarkozy qui veut nous empêcher de nous mêler de tous les vrais débats de cette rentrée : ceux du pouvoir d’achat, des attaques contre les services publics, du logement. La réunion de mardi ne suffira pas à enclencher la riposte. Il faut que nous ayons confiance dans le mouvement syndical, car l’action politique ne résoudra pas tout, toute seule. Je suis d’accord avec la proposition de Marie-George Buffet de discuter du projet et des propositions à porter à gauche. Nous avons besoin à la fois de luttes victorieuses et de remporter les élections. Notre démocratie est une démocratie politique, ce sont les élections qui permettent d’agir, de donner de la force aux luttes. Il n’y a pas d’un côté une « bonne gauche » et de l’autre une « mauvaise », nous avons besoin de toutes les gauches pour faire face à une droite unie comme jamais et qui dispose de tous les pouvoirs. Aujourd’hui, à la Fête de l’Humanité, je lance un appel au rassemblement de toute la gauche.
Le micro circule dans le public de l’agora. Des doutes s’expriment sur la capacité de la gauche à sortir des divisions
Comment ne pas décevoir de nouveau les attentes à gauche ?
Cécile Duflot. Notre défi est de réussir demain ce que nous ne sommes pas parvenus à faire hier. Non parce que nous aurions manqué de courage, nous nous sommes tous battus durant la campagne électorale. Nous avons besoin de bâtir un vrai projet qui redonne espoir. Défendons les services publics et leur - extension, par exemple dans le domaine de la petite enfance. Le productivisme ne peut pas tout résoudre, c’est le devenir de l’humanité entière qui est en péril. Bien sûr que les questions écologiques doivent être traitées dans leur dimension sociale. Si on aborde les débats ainsi, couper la gauche en deux n’a aucun sens. Évoquer l’échéance de 2012 ne nous empêche pas de descendre dans la rue dans les semaines qui viennent. Il faut marier principe de précaution et vision politique du long terme. Quelle politique mettre en oeuvre ? Rien ne sert de répondre si on est sûr de ne jamais se mouiller dans les responsabilités. Les Verts ont été au gouvernement, ils ont parfois avalé des couleuvres, ils ont aussi essayé de faire avancer des propositions. Je veux travailler à ce que nous nous retrouvions en 2012. Mais, quand on porte un projet différent, il ne faut pas avoir peur de le porter devant les électeurs. C’est ce que nous allons faire aux municipales. Les Verts ne souhaitent pas participer à des tractations sur le nom du prochain maire de telle ou telle ville. Ce qui nous - intéresse c’est de savoir si les muni- cipalités sont prêtes, par exemple, à - remettre en gestion publique le - service de l’eau.
François Hollande. Une forme de fatalisme nous menace, l’idée qu’il serait trop dur de se battre tant la droite est forte. Notre tâche, tous ensemble, est de lever une espérance, avec le souci de dire la vérité, en s’attelant à l’élaboration de propositions. C’est comme cela que nous - recréerons une dynamique, que nous ferons bouger les lignes et changer nos organisations. Cette espérance exige d’aller plus loin que l’opposition à Nicolas Sarkozy, elle doit porter un véritable projet commun. Pourquoi ne tomberions-nous pas d’accord ? Nous savons nous unir dans nos villes et nos collectivités, nous pouvons donc le faire au niveau national et européen.
Olivier Besancenot. Ne masquons pas nos désaccords sur le pouvoir d’achat. Je ne suis pas le « Monsieur Plus » de la gauche. Mais, si l’on veut augmenter les salaires, il faut s’attaquer à une autre répartition des richesses. Il existe un passif. Des millions de gens pensent : « Quand la gauche était au pouvoir, elle a fait une politique de droite. » Je n’en fais pas pour autant un préalable, mais discutons sur le fond. Revenir à la retraite à trente-sept annuités et demie, c’est possible si on remet en cause les exonérations de cotisations sociales aux entreprises. Je rejoins Marie-George Buffet quand elle dit qu’il faut avoir la volonté de contrôler les richesses en donnant de nouveaux droits aux salariés dans les entreprises. Il faut débattre concrètement, sinon on ne sera jamais d’accord. À la LCR, nous n’avons jamais dit que nous refusions les responsabilités gouvernementales. Mais le pouvoir, tant qu’il n’est pas rendu aux travailleurs, donne des vertiges à la gauche. Nous sommes fiers d’être - indépendants du système institutionnel. Je ne suis pas sûr que tout le monde puisse être fier de son bilan.Marie-George Buffet. Justement, faisons en sorte de prendre le pouvoir pour aussitôt le rendre aux citoyennes et aux citoyens. Arrêtons d’opposer en permanence la gauche de pouvoir et la gauche de protestation. La question est simple : la gauche est-elle capable de gouverner pour changer la politique et transformer la société. C’est ce qu’attendent ceux qui se battent contre les expulsions et qui attendent qu’un gouvernement de gauche abroge les lois sur l’immigration de Pasqua, de Sarkozy. C’est ce qu’attendent les salariés qui luttent pour la sauvegarde des services publics, contre les fermetures d’établissements hospitaliers ou de bureaux de poste. Pas question de recommencer une gauche qui n’a pas eu le courage de mettre en oeuvre une nouvelle répartition des moyens, ni de donner du pouvoir aux salariés. Travaillons à la multiplication de débats publics comme celui qui a lieu sur la Fête, par exemple sur la question des retraites. Il faut que la gauche se donne un projet de transformation sociale. Ce n’est qu’après que l’on verra les questions de structures. Le débat va continuer à gauche. À vous les citoyens, les électeurs de gauche, les salariés de vous en mêler, d’intervenir. C’est à partir de vos aspirations que la gauche doit se construire pour dépasser les divergences actuelles. Ce débat doit se mener sur la place publique. Puisque tous ici sommes d’accord pour une réunion dès mardi, je propose que, dans chaque - commune ou chaque entreprise, des - réunions se tiennent avec toutes les forces de gauche. Cela changerait l’atmosphère et permettrait de créer les conditions pour battre les prétentions antisociales de Nicolas Sarkozy.