Membre du bureau national, Guillaume Bachelay, très proche de Laurent Fabius et maire adjoint de Cléon (Seine-Maritime), est l’auteur d’un ouvrage critique sur l’évolution de son parti [ Voir la rubrique A Lire ]. - Humanité.fr 14 septembre 2007.
Désert d’avenir (1) est le titre de votre ouvrage. Or, vous y parlez peu de Ségolène Royal. Une façon de tourner la page ?
Guillaume Bachelay. Nous n’avons pas seulement perdu une élection présidentielle, mais trois successivement. Il faut donc chercher les causes profondes de ces échecs. Ségolène Royal est l’ultime étape d’un lent processus d’acception de la victoire idéologique, économique et finalement politique du libéralisme. Du tournant de la rigueur en 1983 à la défaite de 2007, en somme, la boucle est bouclée ! Mais ce qui m’a le plus perturbé comme militant et comme jeune responsable socialiste, c’est l’abandon par notre candidate du terrain économique et social durant la campagne. Que Sarkozy ait réussi à capter - et même à capturer - Jaurès dans ses discours est un symbole et un symptôme : la droitisation de la société est une thèse à laquelle on croit davantage au PS qu’à l’UMP !
Le tournant n’est donc pas pour vous cet épisode présidentiel, mais prend sa source bien en amont. Quel en est le cheminement ?
Dans les années soixante-dix et jusqu’en 1983, avec le grand moment de mai 1981, la dynamique, c’était le programme commun. Il s’agissait, dans un cadre démocratique, de transformer les structures mêmes du capitalisme. En 1983, face à la contrainte extérieure - on ne parlait pas encore de « mondialisation » -, il a fallu réviser la stratégie sinon la gauche risquait de perdre le pouvoir après deux ans d’action seulement. Or, Mitterrand voulait - il avait raison - que la gauche s’inscrive dans la durée. Pour habiller le tournant et le ralliement à l’économie de marché, le PS et ses alliés ont délivré un nouveau message : le socialisme reste l’horizon, mais c’est l’Europe qui est la bonne échelle. Des sacrifices ont été demandés aux Français, notamment aux salariés, pour rendre la France plus forte dans une Europe plus démocratique et plus sociale. Mais, hélas, l’Union européenne est restée technocratique dans ses modalités et libérale dans son projet. Résultat : les catégories populaires, les couches moyennes déclassées, les jeunes et les retraités précarisés ont ignoré Maastricht en 1992 et rejeté le traité constitutionnel européen en 2005. Au fond, ce que nous payons aujourd’hui, c’est l’incapacité de la gauche - pas seulement le PS - à redonner une grille de lecture et une feuille de route dans la mondialisation. Le capitalisme a muté, pas la gauche ! Face à un capitalisme plus financier qu’industriel, plus mondial que national, plus soucieux de rentabilité que de long terme, nous devons nous moderniser sans nous droitiser. Rééquilibrer le rapport de forces entre le travail et le capital, construire des outils de régulation publique, favoriser la création et l’innovation pour qu’il y ait production et redistribution, voilà ce que l’on attend de la gauche aujourd’hui ! Et disons clairement ce qui peut relever de l’offre de la loi et de la demande et ce qui doit en être exclu - je pense à la santé, à la culture, à l’éducation, à l’énergie, notamment.
Il se trouve que Laurent Fabius est associé historiquement à cette rigueur de 1983. Paradoxe ou injustice ?
Le tournant de la rigueur a été décidé fin 1982, début 1983 par François Mitterrand, Jacques Delors et Pierre Mauroy. Laurent Fabius, succédant à ce dernier à Matignon en 1984, a agi dans ce cadre avec pour mission d’éviter une déroute électorale aux législatives de 1986 - ce qu’il a réussi puisque la droite a remporté une courte victoire. Plus récemment, au lendemain du 21 avril 2002, Laurent Fabius a fait partie des dirigeants socialistes qui ont entendu le message des électeurs : quand seulement 13 % d’ouvriers et d’employés votent pour le candidat PS à la présidentielle, c’est qu’il faut reconstruire le socialisme. En 2003, Laurent Fabius a réinstallé la laïcité et la République au coeur de notre projet quand certains cédaient aux sirènes communautaristes. En 2004, il a plaidé pour l’opposition frontale à la droite, stratégie qui nous a permis de remporter 20 régions sur 22. En 2005, il a porté avec courage et pédagogie une volonté de réorientation de l’Europe contre le dumping fiscal et social, contre la désindustrialisation et les délocalisations, contre l’obsession monétariste de la Banque centrale européenne. En 2006, il a imposé l’objectif du SMIC à 1 500 euros dans le programme du PS - que notre candidate a ensuite, malheureusement, abandonné au cours de sa campagne alors même que le pouvoir d’achat était la priorité des électeurs de gauche - et pas seulement de gauche ! Avec Laurent Fabius et beaucoup d’autres, nous pensons que Parti socialiste ne veut pas dire Parti fataliste ou Parti suiviste. À toutes les échelles, du mondial au local, la politique peut changer les choses. Encore faut-il ne pas s’être résigné au libéralisme en Europe et au sarkozysme en France…
L’effritement politique, idéologique et électoral du PCF au cours des vingt dernières années, n’a-t-il pas été considéré trop vite comme une bonne nouvelle par le PS ?
Toutes les forces de gauche ont pris de plein fouet le rouleau compresseur du libéralisme au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Face au triptyque « dérégulation, privatisation, individualisation », pas facile de faire vivre la devise « liberté, égalité, fraternité ». D’où deux tentations à gauche : l’alignement ou la surenchère. Les deux, l’expérience l’a montré, sont inopérantes. Il faut revendiquer notre identité de gauche, dans la diversité des sensibilités et des histoires, tout en ajustant certaines approches et certaines propositions. Prenez les retraites. Socialistes et communistes, nous savons bien qu’il y a un problème de financement durable des régimes. Si nous n’apportons pas de réponses, alors il y aura privatisation et non répartition, marché et non solidarité. Il faut donc une réforme globale des retraites, qui tienne compte de la pénibilité, de l’espérance de vie, de la nécessité de mettre à contribution le capital et pas seulement ceux qui travaillent pour garantir les pensions. Voilà une approche de gauche à opposer à la stratégie Sarkozy-Fillon consistant à distinguer les régimes spéciaux et les autres, à opposer entre eux les salariés, à privatiser à terme les retraites ! Je le dis à mes camarades socialistes : être modernes, pour les retraites comme pour le reste, ne signifie pas être droitier.
Comment voyez-vous le chantier de rénovation de la gauche ?
Je suis socialiste, donc je crois au progrès et à l’action. Je compte beaucoup sur les mobilisations de la société : contre les taxes sur les soins et les médicaments, contre l’absence d’augmentation des salaires et des pensions, contre le risque d’une privatisation des services publics - aujourd’hui GDF, demain la Poste, après-demain l’hôpital. Face à une droite dure, on n’attend pas un PS mou. Je plaide pour une opposition de gauche à Sarkozy, non pour une position de Sarko de gauche. L’opposition à la droite et la reconstruction de la gauche sont un seul et même chantier.
(1) Désert d’avenir.
Le Parti socialiste, 1983-2007.
Guillaume Bachelay, CGM/éditions Bruno Leprince » ; 123 pages.