Pierre Henry, directeur de France terre d’asile fustige le projet de loi Hortefeux.
Entretien publié dans l'Humanité du 17 septembre 2007
Brice Hortefeux vient de s’autoproclamer champion de l’asile en France. Qu’en pensez-vous ?
Pierre Henry. Si être « ministre de l’asile » veut dire être gardien de la tradition française et de l’application juste et équilibrée de la convention de Genève, cette affirmation mérite un sérieux examen. 30 % des demandes d’asile sont aujourd’hui traitées en procédure prioritaire, sans accompagnement social. Le taux de reconnaissance avoisine les 2 % à 3 %. Il a fallu attendre que l’Europe rappelle la France à l’ordre sur les recours. Pour être un vrai « ministre de l’asile », Brice Hortefeux a beaucoup de chemin à parcourir. Il faudra peut-être demander à l’Europe de réintervenir.
Vous avez un regard, aussi, sur la politique d’immigration, ainsi qu’en témoigne votre dernier livre (Cachan, la vérité, avec Pascale Egré, Éd. de l’Aube). Quel regard portez-vous sur les autres dispositions du projet ?
L’attaque est portée une nouvelle fois sur l’immigration familiale, surtout en provenance d’Afrique. L’instauration de la clause linguistique est une disposition discriminatoire et l’auteur du projet le sait bien. Selon que vous soyez japonais, américain ou originaire d’un village africain, vous n’aurez pas les mêmes facilités. Au final, les gens viendront immanquablement, par l’intermédiaire de filières. On fait l’inverse de ce qu’on affiche. Et puis, soyons réalistes : 17 304 personnes venues au titre du regroupement familial en 2006, ce n’est pas la mer à boire pour 63 millions d’individus. 48 000 personnes non communautaires ont épousé un Français ou une Française : nous sommes à l’époque de la mondialisation. L’État voudrait-il aussi choisir les conjoints ou les conjointes ? Exiger le retour du conjoint pour obtenir un visa long séjour va aussi créer une nouvelle catégorie de personnes en situation irrégulière. On s’attaque là aux migrations de droit. C’est très grave.
Rappel à l’ordre des préfets, tests ADN… Comment interprétez-vous cette surenchère ?
L’immigration a toujours été utilisée à des fins de politique intérieure. Nicolas Sarkozy a prouvé que cela marche, surtout quand on a des difficultés sur les dossiers sociaux. Quant aux tests ADN, ce qui est insupportable avant tout, c’est la manière de poser le débat au détour d’un amendement qui fait passer les étrangers pour d’éternels fraudeurs, qui suppose qu’on modifie le droit pénal, qui pose des problèmes déontologiques redoutables. Et pour quel enjeu ? 9 000 enfants. C’est démesuré. S’il faut débattre, faisons-le de façon apaisée et pas dans l’objectif d’un fichage généralisé de la population étrangère.
Cela peut-il réveiller l’opposition ?
L’opposition, elle est atone depuis des années. Certains partisans de la modernité à gauche ont perdu toute capacité d’indignation et d’autres n’ont de chevaux à enfourcher que ceux que proposent le gouvernement et la droite classique. Nous allons être confrontés à trois défis, économique, démographique et climatique dans les vingt prochaines années. Cela demande une réflexion sérieuse à gauche. Nous en sommes loin.