Par Liêm Hoang-Ngoc, délégué national à l'Economie du Parti socialiste, et maître de conférences à l'université de Paris I-Panthéon Sorbonne.
Source : Challenges.fr | 15.10.2007
La commission Attali sur la croissance rend cet après-midi un premier rapport d'étape sur le pouvoir d'achat. Parmi les principales mesures: accroitre la concurrence dans la distribution (abrogation des lois Galland et Royer-Raffarin), ou autoriser les actions de groupe pour les consommateurs. Quelle est votre réaction sur le sujet ?
Mon sentiment, c'est que ce rapport, tout comme celui du Conseil d'analyse économique [qui doit être remis au Premier ministre vendredi, ndlr], tourne autour du pot. Ces rapports n'abordent que partiellement la question des freins à la croissance, puisqu'ils ne pointent que des sujets marginaux. La grande distribution bénéficie d'une rente de monopole dont les ménages subissent les retombées, certes. Mais le principal frein à la croissance reste l'investissement des entreprises. Rien n'est dit sur les grandes entreprises qui ne subissent plus aucune contrainte d'offre mais ne dépensent pas pour autant en matière d'investissement, notamment dans les domaines innovants. Ce qui plombe les carnets de commandes des PME. Le premier problème est donc un problème de politique industrielle, et n'est pas posé dans ce rapport.
Deuxième constat: si la consommation est le principal moteur de la croissance, le pouvoir d'achat des catégories qui ont la plus forte propension à dépenser -à savoir la moitié des ménages, qui gagnent mois de 1.480 euros, le salaire médian- est plombé par le prix du logement certes, mais surtout par la modération salariale de ces dernières années.
A l'inverse, un des effets de la politique fiscale actuellement menée est la contribution au gonflement de la bulle immobilière.
L'ancien conseiller de François Mitterrand préconise aussi d'améliorer l'accès au logement, notamment grâce à la construction de 500.000 nouveaux logements sociaux par an, ou la création de 10 éco-polis d'ici 2012…
- Il faudrait peut-être commercer par faire appliquer la loi SRU [loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui contraint les agglomérations de plus de 50.000 habitants à un minimum de 20% de logements sociaux, ndlr]. Le problème ici est celui du logement des catégories modestes.
Encore une fois, ceci n'est que marginal par rapport au cœur du problème, qui lui n'est pas abordé.
Même si la création de ces villes nouvelles écologiques permet toujours des grands travaux et donc de tirer le bassin d'emploi dans les villes concernées.
Certains dénoncent un énième rapport sur le sujet, d'autres ironisent déjà sur des propositions irréalistes et, surtout, craignent le retour d'un libéralisme à tout va. Abondez-vous dans le sens de ces critiques ? Et quelles seraient alors vos propositions ?
- Oui, ce rapport n'aborde pas le vrai problème qui est un problème pointé par les économistes keynésiens, à savoir un problème d'investissement. Or on ne le réglera pas par ce que les libéraux appellent une politique de l'offre, qui accroît le profit et la rente.
Le modèle de la gouvernance anglo-saxonne a failli et il va falloir en tirer la leçon. Les investisseurs sont rivés sur le court-terme et obéissent à une logique de gain pour les actionnaires.
Il faut maintenant que la politique industrielle reprenne ses droits.
Les 15 milliards d'euros consacrés au paquet fiscal auraient pu servir à autre chose. Pour ordre de grandeur, les pôles de compétitivité ont coûté 1 milliard seulement et l'Agence de l'innovation 100 millions.
De plus, les 5 milliards concentrés sur les bas-salaires n'ont créé que 200.000 emplois, à cause de l'effet de trappe à bas-salaire [un patron, qui bénéficie d'un allègement des charges au niveau du Smic, devient de moins en moins incité à augmenter les salaires, ndlr].
Il ne faut donc pas s'étonner que le pays soit à la traîne de l'Europe en termes de croissance depuis une quinzaine d'années.
Propos recueillis par Flore de Bodman,