Après un mois de présentation houleuse, région par région, Rachida Dati a achevé vendredi son « tour de France » de la réforme de la carte judiciaire. Au final, le projet de la garde des Sceaux prévoit la suppression d’environ 200 juridictions (23 tribunaux de grande instance et 180 tribunaux d’instance) d’ici à 2010. Et continue de susciter un vent de colère sans précédent chez les élus locaux et les personnels de justice. Président de l’USM, Bruno Thouzellier se dit « consterné » par la méthode au forceps de la ministre. l'Humaité.fr 19 nov 07
Quel est votre sentiment alors que Rachida Dati vient de terminer la présentation de sa réforme ?
Bruno Thouzellier. Les magistrats vivent cela douloureusement.
Apparemment, l’objectif de Rachida Dati était de passer en force, très vite, afin de montrer à l’opinion publique qu’elle était capable de faire quelque chose. Mais c’est nous qui travaillons tous les jours dans les juridictions et c’est nous qui, à l’avenir, serons tenus responsables des conséquences de cette réforme déplorable ! Le chantier de la carte judiciaire méritait beaucoup mieux que cette précipitation, cet aveuglement et cette volonté d’avancer à tout prix. C’est une terrible occasion manquée…
Quelles vont en être les conséquences ?
Difficile de le dire. La disparition de 180 tribunaux d’instance et de 23 TGI va profondément perturber le fonctionnement de tous les autres tribunaux. Il faudra des redéploiements de personnels, de mobiliers, des redistributions de compétences… Annoncer toutes ces suppressions, c’était facile. Les mettre en oeuvre le sera beaucoup moins. Et ce, d’autant plus qu’aucun budget spécifique ne semble avoir été prévu dans les crédits de la justice, votés jeudi dernier par l’Assemblée. Cette réforme va pourtant coûter beaucoup d’argent. Ensuite, elle aura des conséquences importantes pour le justiciable, notamment avec la disparition des tribunaux d’instance qui règlent tous les petits contentieux de la vie quotidienne. Mais les effets seront encore plus lourds pour les magistrats qui, dans certains cas de tutelle, par exemple, vont devoir faire des dizaines et des dizaines de kilomètres pour aller rencontrer les usagers. Je ne parle pas, enfin, des conséquences symboliques, pour les élus et la population, qui voient disparaître un tribunal de grande instance, bien souvent installé dans leur ville depuis plus d’un siècle.
Le ministère a-t-il cherché à recueillir votre avis ?
Absolument pas. Jamais la Chancellerie n’a souhaité nous recevoir pour nous expliquer le plan de réforme et entendre notre position sur cette question. La concertation a été nulle. Aussi bien avec nous qu’avec les élus, les avocats ou les fonctionnaires. Franchement, je ne crois pas qu’il y ait un autre pays en Europe où l’on oserait réformer avec aussi peu de professionnalisme, de précision et de concertation. Et ce n’est pas rendre service aux Français et à la justice que de procéder comme cela. Même les esprits les plus modérés s’échauffent devant ce blocage du gouvernement.
Une réforme de la carte judiciaire était-elle nécessaire ?
Oui, bien sûr. Mais une chose est de vouloir rationaliser la carte en faisant disparaître certains tribunaux d’instance en sous-activité ; une autre est de faire de la suppression des tribunaux le postulat central de la réforme ! Depuis 1958, la population française a augmenté de 20 millions d’habitants. Et à certains endroits, c’est de création de tribunaux dont on a besoin. Au-delà, cette réforme aurait pu être l’occasion de redistribuer les compétences des TGI, de se pencher sérieusement sur leur répartition et de redécouper les ressorts des cours d’appel. Un exemple : celle d’Aix-en-Provence couvre une zone gigantesque qui va jusqu’à Nice. Tout le monde admet aujourd’hui qu’elle est totalement trombosée. N’aurait-il pas été plus intelligent de réfléchir à la scinder en deux ? Par ailleurs, pour les cours d’appel qui n’ont pas beaucoup de travail, n’aurait-il pas été plus constructif de leur rattacher quelques TGI supplémentaires, de façon à alléger les cours voisines ? Tout ce travail de réflexion aurait dû être fait. Mais il nécessitait plus que trois mois de marche forcée.
Comment allez-vous lutter contre cette réforme ?
Je pense qu’il va y avoir, non pas un deuxième tour social, mais un deuxième tour « technique ». Lorsque les aberrations de cette réforme vont être confrontées à la réalité du terrain, on sera bien obligé d’amender les choses. Et à ce moment-là, nous, les magistrats, nous aurons notre mot à dire.