Entretien réalisé par Raphaëlle Bacqué, Thomas Hugues et Stéphane Paoli, paru dans Le Monde du 21 Novembre 2007.
Le gouvernement refusait de négocier en pleine grève, il évoque maintenant "une dynamique de reprise de travail" pour ouvrir la discussion. Est-ce à vos yeux un premier pas ?
Il a été obligé de le faire. Sur la forme, cela prouve que le rapport de force commence à payer vu cette première réunion. Reste le fond. Or, juste après avoir fait une petite concession sur la forme, nous avons un gouvernement qui, par la bouche de M. Fillon aujourd'hui, nous dit qu'il ne lâchera rien sur les principes. Le gouvernement nous refait le coup de la gonflette vingt-quatre heures avant la journée de demain qui s'annonce un succès d'un point de vue interprofessionnel.
Le patron de la CGT Bernard Thibault est malmené par sa propre base. A-t-il tort de vouloir négocier ?
Ce mouvement a décidé de contrôler sa propre mobilisation par la base, en assemblée générale où il n'y a pas que des militants de SUD ou de la CGT, mais aussi de Force ouvrière, de la CFDT, de l'UNSA qui depuis longtemps ont dit qu'il fallait arrêter le mouvement (...). On va prouver que les cheminots ne sont pas seuls par rapport à leur conflit qui ne touche pas simplement la question des régimes spéciaux, des retraites, mais qui touche en filigrane la question du pouvoir d'achat.
Vous vouliez dès le départ la jonction de la grève des cheminots avec celle des fonctionnaires ?
C'est évident, mais ce n'était pas le cas du côté des directions syndicales. Car certaines ne voulaient surtout pas qu'il n'y ait qu'une seule manifestation. Je ne fais jamais la politique du pire car je sais ce que c'est que de faire grève. Si vendredi, les cheminots avaient gagné, je leur aurais dit bravo (...). Je me souviens de 2003, face à toutes les tentatives de division des directions syndicales qui à l'époque nous ont trimbalé de journée d'action sans lendemain, on a vu éclore dans le mouvement spontanément des collectifs interprofessionnels de plus en plus massifs. Des salariés qui allaient à la rencontre d'autres salariés sans passer par aucune direction syndicale ou politique. Nous aurions eu tellement besoin de ces collectifs interprofessionnels dès le début de ce mouvement pour gagner...
La SNCF propose des contreparties, notamment 90 millions d'euros sur quinze ans. Plusieurs syndicats y sont sensibles...
Et probablement même des cheminotes et des cheminots. J'en suis bien conscient. Ce sont eux qui diront si ce système de compensation qui touche aux décotes ou aux salaires sera vécu comme une victoire ou pas. La situation politique et sociale ne sera pas la même si ce sont les cheminots qui ont le sentiment de gagner quelque chose ou si c'est Nicolas Sarkozy qui a le sentiment de gagner quelque chose. Mais ce serait bien que les bénéfices de cette entreprise servent d'abord à faire fonctionner le service public.
Pourquoi le Parti socialiste est-il inaudible ?
Le Parti socialiste est tombé dans le panneau de critiquer le gouvernement sur la forme. On attendait plutôt la gauche pour nous expliquer en quoi c'était des mauvaises réformes et surtout comment on pouvait les combattre (...). La vraie force de la droite, ce n'est pas qu'elle est partout, c'est qu'une partie de la gauche est nulle part (...). Le pilier fondamental pour proposer quelque chose de neuf à gauche, c'est de savoir si l'on s'inscrit ou pas dans la démarche sociale-libérale du Parti socialiste. Si on accepte ou pas de se laisser satelliser par le projet politique qui est cohérent de la direction du PS et qui est plutôt d'accord avec une partie du fond des réformes du gouvernement actuel. Car concrètement, ils pensent que le libéralisme est inéluctable.