Il faut tordre le cou de toute urgence à une thèse désastreuse qui circule parfois jusque dans la gauche : l’élection présidentielle donnerait à Sarkozy le droit de soustraire le nouveau traité européen au référendum. « Ne l’avait-il pas annoncé ? Les Français étaient prévenus. On peut le déplorer mais il faut accepter le verdict des urnes. » Ce raisonnement se présente comme une évidence démocratique. Mais il est porteur des pires reculs en la matière. Source : PRS
Dès lors que les Français n’ont pas donné les pleins pouvoirs à Sarkozy, ils ne lui ont pas donné celui de modifier à sa guise la Constitution. La révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité se déroulera comme les précédentes : par le vote du peuple ou à la majorité des 3/5 des parlementaires. Rien ne justifierait donc que la volonté d’un seul homme s’impose à celle du Parlement, ni que le choix d’un seul délie tous les autres de la responsabilité qui leur a été confiée par le peuple souverain, qu’ils soient dans la majorité ou l’opposition. Les promesses électorales de Sarkozy ne s’appliquent pas de plein droit du seul fait de son élection. Elles doivent faire l’objet de décrets pris par le Gouvernement ou de lois soumises au vote des Assemblées. Sinon quel est le rôle du Parlement ? Et celui de l’opposition ? Reconnaître à Sarkozy le droit de décider seul de contourner le référendum serait prêter la main à un coup de force contre la démocratie dont la gauche se mordrait les doigts à l’avenir.
« Juridiquement vous avez peut-être raison, mais l’élection lui donne la légitimité politique d’agir ainsi », nous rétorqueront ces opposants en gants blancs. Faut-il rappeler à ces étourdis ce qu’a promis Sarkozy en matière européenne ? Dans son projet présidentiel : « J’ai proposé à nos partenaires un traité simplifié , limité aux questions institutionnelles que nul n’a contestées pendant la campagne référendaire, afin que l’Europe se dote rapidement des moyens de fonctionner efficacement à 27 États membres. La question de la réécriture d’un texte plus global, scellant la dimension fondamentalement politique de l’Europe, se posera dans un second temps. » Au Congrès d’investiture de l’UMP : « Je veux être le Président d’une France qui dira aux Européens : "nous ne ressusciterons pas la Constitution européenne. Le Président Giscard d’Estaing a fait un travail remarquable, mais le peuple a tranché." » Lors du débat télévisé entre les deux tours : « Ceux qui veulent faire un nouveau référendum, c'est qu'ils veulent faire repasser la Constitution. Je ne veux pas d'une nouvelle Constitution. Les Français ont dit non à 55 %. On ne va pas recommencer un référendum. Pour leur dire quoi ? C'est clair, ils ont dit non. »
Or tous les analystes le disent : le « nouveau » traité n’est que la reprise sous une autre forme du texte initial de la Constitution européenne. Ce n’est pas un mini-traité : il est plus long que le précédent. Ce n’est pas un traité seulement institutionnel : le contenu de la partie III du projet de Constitution européenne est repris en totalité. Ce n’est pas un traité consensuel : les points qui ont suscité le vote « non » des Français sont recopiés tels quels. Ce n’est pas un traité simplifié : il est encore plus complexe que le TCE. Dès lors, Sarkozy piétine son engagement de respecter le « non » des Français.
On pourrait aussi rappeler sa promesse de réorienter la construction européenne. Discours de Charleville-Mézières : « La surévaluation de l’euro est une erreur. (…) La religion du libre-échange absolu est un renoncement. (…) Considérer la concurrence comme un dogme intangible est un renoncement. » Discours de Lille : « Depuis longtemps la pensée unique nous explique qu’une monnaie forte c’est bon pour l’économie et que de toute façon c’est le marché qui décide du cours de la monnaie. Eh bien ce n’est pas vrai. (…) Regardez Airbus ! Voyez comment l’Euro trop cher abîme l’une des plus belles réussites industrielles de l’Europe ! J’ai toujours dit oui à l’Europe, mais pas à cette Europe là ! Je veux une autre Europe, une Europe qui agit au lieu de subir. Une Europe qui défend ses intérêts au lieu de les immoler sur l’autel de la pensée unique. » Or le nouveau traité européen ne change rien au statut de la Banque Centrale européenne, à la politique monétaire, à la protection des travailleurs européens contre les délocalisations, au « dogme intangible » du libre-échange. Pour une raison bien simple : à peine élu, Sarkozy a défendu la pensée unique et non les exigences du peuple./.