Le journaliste écrit le 6 nov 07 sur le blog des rédacteurs de Politis :
Comme prévu, le parti socialiste approuve le traité modificatif européen. Mardi soir, le bureau national (BN) du PS, seule instance consultée, a donné son feu vert à la nouvelle mouture du traité constitutionnel européen (TCE) rejeté par les Français, le 29 mai 2005, à une majorité de 36 membres qui l’approuvent, 20 qui ont voté contre, 2 abstentions (Malek Boutih, Arnaud Montebourg) et 1 refus de vote (Julien Dray). La question du mode de ratification du traité a été évacuée des débats, sans aucun égard pour les promesses de référendum faites durant la campagne présidentielle.
Curieusement, la plupart des participants à ce conclave paraissaient soulagés à sa sortie.
Les anciens tenants du « oui » à la « constitution » européenne, parce qu’ils estiment avoir enfin pris leur revanche sur les urnes. « Ce soir, à une majorité importante les socialistes ont décidé de voter ce traité », a affirmé d’emblée François Hollande. Visiblement satisfait, quoiqu’un peu tendu, il a ajouté : « Nous tournons la page. Nous en terminons avec ce qui a été un long processus au sein du PS sur la question européenne. Cette question maintenant est dernière nous. »
Les anciens partisans du « non » restés fermes sur leur position, parce que le résultat de ce vote en comité restreint maintient grosso modo le rapport de force du référendum interne du 1er décembre 2004. Si d’anciens nonistes comme Vincent Peillon ont basculé dans le camp du « oui », des ouistes ont cette fois opté pour le « non », en accord avec leurs électeurs. C’est le cas de Serge Janquin, le patron de la fédération du Pas-de-Calais. A la sortie, Jean-Luc Mélenchon s’est félicité d’un « beau débat digne et dense » et du nombre des « non ». « Ils disaient que j’étaient seul. Eh bien je pavoise ! » a lancé maladroitement le sénateur de l’Essonne.
Benoît Hamon, en annonçant sur le champ sa démission de son poste de secrétaire national au projet européen, a heureusement rappelé la dimension dramatique de ce vote quant à ses conséquences et significations (voir son communiqué plus bas). Des cinq principaux enseignements que l’on peut tirer de ce scrutin, aucun n’autorise à pavoiser.
Alors que le PS s’était prononcé à 60 % pour le « oui » au TCE, fin 2004, une nette majorité de Français avait voté contre. Dont 59 % de sympathisants socialistes, 80 % des ouvriers, 71 % de chômeurs, 56 % des professions intermédiaires, 64 % des salariés du secteur public, 56 % de salariés du secteur privé. En maintenant son vote, alors même que le nouveau traité reprend l’essentiel des dispositions du précédent, le PS montre qu’il n’a tiré aucune leçon du 29 mai 2005.
En maintenant une position contraire à celle de ceux qui, traditionnellement, lui apportaient leurs suffrages, le PS se coupe de sa base électorale et contribue au maintien de fracture civique observée en 2005 quand 93 % des parlementaires étaient favorable à une « constitution » européenne rejeté par 55 % des Français.
Ce vote du BN signe la fin de la « synthèse du Mans ». La réconciliation du « oui » et du « non » a volé en éclat. Un mythe s’écroule qui, au nom de l’unité qu’il fallait reconstituer à l’approche de la présidentielle, a essentiellement bénéficié aux perdants du référendum de 2005. Sans que jamais les vainqueurs du 29-mai, divisés, ne parviennent à réorienter un parti de plus en plus aligné sur les partis sociaux-démocrates les plus convertis au libéralisme.
Cantonné cette fois au seul BN, le débat sur l’Europe a toute les chances d’être étouffé pour longtemps au sein d’un parti dont la majeure partie des cadres refusent d’examiner tout sujet susceptible de les distraire de la préparation des municipales, quand bien même les orientations libérales relégitimées dans ce nouveau traité accroitrons encore leurs marges de manœuvres locales. D’où la satisfaction de François Hollande affirmant que la page est tournée.
Le refus du référendum
En refusant de défendre le recours au référendum, le PS se prive d’une occasion rare de s’opposer frontalement à Nicolas Sarkozy avec l’appui d’une très nette majorité de Français. Un récent sondage CSA faisait état du souhait de 61% des sondés d’être consultés par référendum sur ce nouveau traité. Un souhait légitime après le rejet du traité constitutionnel par près 55 % des électeurs (plus de 15,4 millions de citoyens) et alors que le traité de Lisbonne n’est qu’un décalque du traité refusé.
Ce faisant, le PS ne se contente pas seulement de mettre ses pas dans ceux du président de la République, qui refuse toute consultation populaire sur ce traité faussement présenté comme simplifié. Il adresse un camouflet aux 29 millions d’électeurs du 29 mai 2005. Qu’ils aient voté « non » ou « oui », ces derniers s’étaient mobilisés comme rarement pour un référendum. Parce qu’ils estimaient que l’enjeu européen était suffisamment important pour se rendre aux urnes. Aujourd’hui, ces mêmes électeurs seraient inaptes à juger du nouveau traité qu’on leur présente parce qu’ils ont mal voté. Triste conception de la démocratie ! Et quel mépris du peuple !
J’ai bien entendu François Hollande, lors du point de presse qui a suivi le BN, déclarer que son parti aurait souhaité un référendum mais qu’il ne voit pas de moyen de l’obtenir. Bel exercice d’hypocrite qui vise avant tout à renier une promesse électorale [1] tout en ayant l’air de la maintenir. Et en espérant que l’on ne s’en apercevra pas. Eh bien non ! Les parlementaires de gauche, dont le plus grand nombre sont socialistes, peuvent imposer à Nicolas Sarkozy le recours au référendum. Le moyen ? Voter contre la révision de la Constitution française, préalable obligé avant toute ratification du traité de Lisbonne. Pour être adoptée en Congrès (réunion à Versailles de l’Assemblée nationale et du Sénat) cette révision doit obtenir 3/5 des suffrages exprimés (chaque voix compte et les abstentions équivalent à un "pour"). Si tous les députés censés défendre le principe du référendum votent contre, le recours au référendum est inévitable [2].
Ceux qui, comme Jean-Marc Ayrault, refusent de mener cette bataille parlementaire au prétexte que son issue serait incertaine, oublient que les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on n’engage pas. A moins qu’ils ne veulent pas risquer de décrocher un référendum dont ils se défient. Car les mêmes n’hésitent pas à présenter des amendements, faire des propositions de loi ou déposer des motions de censure dans des assemblées où ils sont pourtant minoritaires. Ils devraient juger ces exercices inutiles. Pourtant, ils persistent. Pourquoi ? Pour défendre ici une idée, là un principe. Se compter ou prendre date. S’ils refusent de le faire pour que le peuple puisse exprimer sa volonté, c’est donc qu’ils ne veulent pas que le peuple ait son mot à dire.
[1] Le projet du PS, dont se réclamaient tous les candidats de ce parti aux dernières législatives, refusait toute ratification du « traité constitutionnel européen tel qu’il a été rejeté le 29 mai, même s’il est accompagné d’un nouveau préambule ». Il proposait en revanche « l’élaboration d’un Traité strictement institutionnel » qui, « une fois renégocié », serait « soumis au peuple par référendum ». Un engagement repris dans le Pacte présidentiel de Ségolène Royal, dont il constituait la 91e proposition. La candidate avait d’ailleurs déclaré à Luxembourg, le 17 janvier 2007 : « Je souhaite que le peuple français soit à nouveau saisi par référendum en 2009.
[2] Pour plus d’explications voir la note qu’y consacre sur son blog Jean-Luc Mélenchon.