Sarkozy menace-t-il la laïcité ?
Catherine Kintzler, philosophe et auteur de Qu'est-ce que la laïcité, se dit « très choquée » par le discours du Président à Saint-Jean-de-Latran et dénonce le concept de « laïcité positive »
Propos recueillis par Anna Borrel - Mariane2.fr
Le discours prononcé par le Président à Saint-Jean-de-Latran a soulevé quelques polémiques. Catherine Kintzler, philosophe et auteur de Qu'est-ce que la laïcité ? (Vrin), explique ce qui la choque dans le concept de « laïcité positive » et dans un discours qui, selon elle, lie étroitement politique et croyance.
Comment comprenez-vous le concept de « laïcité positive » développé par Nicolas Sarkozy lors de son discours à Saint-Jean-de-Latran ?
Catherine Kintzler : Ce terme est d'une grande habileté rhétorique. La « laïcité positive », on a l'impression que c'est la même chose que la laïcité, mais en mieux. Alors qu'en réalité, cette expression vide le concept de laïcité de son sens, puisque la définition de la laïcité est forcément négative et minimaliste. La laïcité, c'est dire qu'il n'est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien politique. Je suis atterrée par le discours de Nicolas Sarkozy à Saint-Jean-de-Latran. Je connaissais la réflexion du citoyen Sarkozy sur ces sujets, il l'a déjà fait connaître à travers un livre, et je ne lui conteste pas le droit de penser ce qu'il veut parce que, justement, je suis laïque, mais je suis très choquée que le président des Français Sarkozy s'exprime publiquement de cette façon.
Qu'est-ce qui vous choque ? L'allusion aux « racines chrétiennes » de la France ?
Cette allusion accompagne une pensée développée tout au long dans le discours : l'idée que, sans croyances, il n'y a pas d'association politique. L'idée que la religiosité est diffuse et présente dans le lien politique. En gros, cela signifie : « croyez en ce que vous voulez, mais croyez en quelque chose ». Alors que la société politique laïque repose, justement, sur la forme de la non-croyance ! On se constitue comme citoyen indépendamment de ce qu'on est préalablement, aux plans religieux ou culturel. La société politique ne peut garantir la liberté d'expression que si elle est aveugle sur les croyances des citoyens et si elle s'abstient de se prononcer sur ce sujet. C'est ce que garantit d'ailleurs la loi de 1905.
Quel est l'enjeu de ces questions ?
Le danger, c'est le communautarisme. L'expression « laïcité positive » n'est pas sans rappeler celle de « discrimination positive ». Aujourd'hui, en France, les croyants fondent des associations, reconnues juridiquement, au travers desquelles ils s'expriment dans le débat public. C'est absolument leur droit. Mais il ne faut pas que des représentants religieux soient reconnus par la puissance publique comme des interlocuteurs politiques. Ce serait légitimer des corps intermédiaires et leurs "chefs" censés se prononcer pour une "communauté".
Dans son discours, Nicolas Sarkozy mentionne également ceux qui ne croient pas...
Oui mais il a des phrases terribles. Il assure que « celui qui ne croit pas ne peut soutenir en même temps qu'il ne s'interroge pas sur l'essentiel. » Comme s'il fallait être croyant pour se poser des questions métaphysiques ! Pire, il explique que « le fait spirituel est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance ». De quelle « tendance naturelle » parle-t-il ? Non seulement il nie la capacité des athées ou des agnostiques à se poser des questions existentielles, mais il dénie aussi ce droit aux milliards de gens, des confucianistes aux animistes, qui ne croient pas à une transcendance ! C'est une vision très étroite et insultante.
Comment comprenez-vous le concept de « laïcité positive » développé par Nicolas Sarkozy lors de son discours à Saint-Jean-de-Latran ?
Catherine Kintzler : Ce terme est d'une grande habileté rhétorique. La « laïcité positive », on a l'impression que c'est la même chose que la laïcité, mais en mieux. Alors qu'en réalité, cette expression vide le concept de laïcité de son sens, puisque la définition de la laïcité est forcément négative et minimaliste. La laïcité, c'est dire qu'il n'est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien politique. Je suis atterrée par le discours de Nicolas Sarkozy à Saint-Jean-de-Latran. Je connaissais la réflexion du citoyen Sarkozy sur ces sujets, il l'a déjà fait connaître à travers un livre, et je ne lui conteste pas le droit de penser ce qu'il veut parce que, justement, je suis laïque, mais je suis très choquée que le président des Français Sarkozy s'exprime publiquement de cette façon.
Qu'est-ce qui vous choque ? L'allusion aux « racines chrétiennes » de la France ?
Cette allusion accompagne une pensée développée tout au long dans le discours : l'idée que, sans croyances, il n'y a pas d'association politique. L'idée que la religiosité est diffuse et présente dans le lien politique. En gros, cela signifie : « croyez en ce que vous voulez, mais croyez en quelque chose ». Alors que la société politique laïque repose, justement, sur la forme de la non-croyance ! On se constitue comme citoyen indépendamment de ce qu'on est préalablement, aux plans religieux ou culturel. La société politique ne peut garantir la liberté d'expression que si elle est aveugle sur les croyances des citoyens et si elle s'abstient de se prononcer sur ce sujet. C'est ce que garantit d'ailleurs la loi de 1905.
Quel est l'enjeu de ces questions ?
Le danger, c'est le communautarisme. L'expression « laïcité positive » n'est pas sans rappeler celle de « discrimination positive ». Aujourd'hui, en France, les croyants fondent des associations, reconnues juridiquement, au travers desquelles ils s'expriment dans le débat public. C'est absolument leur droit. Mais il ne faut pas que des représentants religieux soient reconnus par la puissance publique comme des interlocuteurs politiques. Ce serait légitimer des corps intermédiaires et leurs "chefs" censés se prononcer pour une "communauté".
Dans son discours, Nicolas Sarkozy mentionne également ceux qui ne croient pas...
Oui mais il a des phrases terribles. Il assure que « celui qui ne croit pas ne peut soutenir en même temps qu'il ne s'interroge pas sur l'essentiel. » Comme s'il fallait être croyant pour se poser des questions métaphysiques ! Pire, il explique que « le fait spirituel est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance ». De quelle « tendance naturelle » parle-t-il ? Non seulement il nie la capacité des athées ou des agnostiques à se poser des questions existentielles, mais il dénie aussi ce droit aux milliards de gens, des confucianistes aux animistes, qui ne croient pas à une transcendance ! C'est une vision très étroite et insultante.