Interrogée par France Inter, le 11 mars 2008, Mme Laurence Parisot, présidente du Mouvement des entreprises de France (Medef), a expliqué la répression des syndicats, dans les petites entreprises en particulier, par l’attitude « très dure » des confédérations ouvrières au niveau national. Puis elle a justifié les salaires très bas des caissières d’hypermarchés — et ceux, beaucoup plus élevés, des propriétaires d’enseignes de grande distribution — en invoquant la concurrence internationale et la rémunération de l’« audace » et du « talent ».
Source : http://www.monde-diplomatique.fr/
Ces déclarations (lire ci-dessous) interviennent alors que le patronat français est embourbé dans le scandale des « caisses noires » de sa fédération de la métallurgie, l’UIMM. Et au moment où, dans un contexte marqué par la baisse du pouvoir d’achat des salaires, les caissières ont mené une grève qui fut à la fois assez suivie dans leurs entreprises et très populaire auprès du public.
A Marseille, la direction d’un établissement Carrefour a montré que le patronat des services n’avait rien de commun avec la « vieille garde » de l’UIMM : après 16 jours de conflit, elle a octroyé à ses salariées une revalorisation de 0,45 euros de leur ticket repas, passé de 3,05 à 3,50 euros...
Emission « Interactiv’ », France Inter,
mardi 11 mars 2008Invitée : Laurence Parisot, présidente du Medef.
Question de l’auditeur : Bonjour madame Parisot. Voilà, ça fait plusieurs fois que je vous entends à l’antenne. Moi, je suis salarié, comme beaucoup de Français, et je suis vraiment écœuré quand je vous entends défendre les grands patrons sur les salaires importants qu’ils ont « bien mérités ». Moi, je trouve que c’est indécent, les propos des fois que vous tenez sur les grands patrons, par rapport au nombre de salariés qui sont en souffrance pour des salaires qui sont très bas. Second point, c’est le dialogue social : vous n’avez à la bouche que ce mot-là, le dialogue, dialogue social. Dans les petites et moyennes entreprises, les salariés qui veulent créer un syndicat, qui veulent parler des délégués du personnel, se font systématiquement virer. Il n’y a aucun dialogue social dans les petites et moyennes entreprises.
Laurence Parisot : Il me semble, monsieur, que c’est un peu exagéré ce que vous dites, même si je suis d’accord avec vous que parfois, dans les petites entreprises, il y a, il faut le dire, une peur du syndicat et du syndicaliste. Il m’est arrivé plus d’une fois d’expliquer aux numéros un des grandes organisations syndicales que leur attitude, parfois très dure au niveau national, entretenait cette crainte dans les entreprises et ne favorisait pas ce dialogue social que vous-même appelez de vos vœux, monsieur. Mais, quand nous sommes, comme en ce moment, dans une négociation avec les syndicats sur la représentativité syndicale, c’est notamment pour aborder cette question au sein des PME. Vous me dites que je n’ai que ce mot-là à la bouche, je ne l’ai pas qu’à la bouche : je pratique le dialogue social, et je vous rappelle que nous avons discuté de manière très constructive avec les organisations syndicales pour aboutir à un accord. Donc, vous voyez, ce ne sont pas que des paroles, ce sont aussi des actes : aboutir à un accord sur le marché du travail, qui apporte des nouvelles sécurités et des nouvelles flexibilités tant aux salariés qu’aux chefs d’entreprise.
Question du journaliste : La deuxième question de l’auditeur portait sur les salaires, et c’est vrai qu’on a vu, et la coïncidence est trop belle ou trop étrange pour être vraie, quasiment au même moment, un mouvement de caissières dans les sud de la France qui se battaient pour obtenir, par exemple, quelques petits euros de plus sur leur ticket restaurant — qu’elles n’ont pas obtenus, d’ailleurs, ou très peu —, et des parachutes dorés, des ardoises fiscales effacées. Comment ces deux poids-deux mesures sont-ils conciliables pour un même système qu’on appelle le capitalisme ?
L. P. : Eh bien, il faut d’abord se demander pourquoi les salaires les plus bas en France, nous n’arrivons pas à les faire progresser plus vite, pour que chacun, y compris dans les familles les plus modestes, ait des certitudes et un sentiment assuré de gain significatif du pouvoir d’achat. Pourquoi on n’arrive pas à faire ça ? La réponse ne dépend pas du salaire de grands patrons : la réponse dépend d’une politique économique globale, qui crée les conditions — ou pas — de richesses supplémentaires dans notre pays ; or, aujourd’hui, en France, on a un poids social et fiscal qui pèse sur le travail qui est tel que même si on fait augmenter d’une manière assez significative le salaire brut, le salaire net, lui, n’augmente pas autant. Ça c’est une première chose.
Mais on a du mal à croire, juste sur la question des caissières, que la santé économique d’une grande enseigne de distribution dépende de 1,50 euro de plus sur un ticket restaurant ; on a du mal à le croire, intellectuellement : alors, expliquez-nous en quoi c’est possible.
L. P. : Vous me prenez avec un exemple précis que vous isolez de tout le reste, de tous les éléments de rémunération : simplement, il faut multiplier le tout par les 700 000 salariés dans la grande distribution et des marges qui se sont terriblement érodées. Il faut faire attention aussi : on n’a pas non plus, je crois chacun de nous, envie d’affaiblir nos grandes enseignes de distribution françaises — si on les affaiblit trop, elles vont être rachetées par un grand Américain qui s’appelle Wal-Mart et on sera les premiers à s’asseoir sur le trottoir et pleurer. Donc, il faut comprendre les mécanismes économiques dans leur ensemble. Et par ailleurs, sur les rémunérations des grands patrons, qui étaient le deuxième élément de la question : quand bien même - parce qu’on a du mal à comprendre, parce que ça serre le cœur et ça tord les tripes –, quand bien même on se dirait que, tiens, c’est un enjeu moral ? Eh bien, finalement — allez —, on demande aux grands patrons de supprimer leurs salaires : est-ce que ça changerait quelque chose aux mécanismes économiques globaux ? Non, ça apparaîtrait comme une goutte d’eau dans quelque chose qui est beaucoup plus vaste.
Enfin, les gouttes ne sont pas de la même taille...
… En revanche, si on n’accepte pas qu’il y ait des rémunérations élevées, si on ne comprend pas que ces rémunérations doivent être liées à la création de richesse et à la création de valeur, que, ces grands patrons, ils font — on court le risque de faire partir les plus grands talents que nous avons dans notre pays, ailleurs. Et moi, je voudrais surtout dire à tous les jeunes qui nous écoutent, qu’on peut devenir un grand patron, on peut devenir quelqu’un qui crée de la valeur, qui est un entrepreneur et qui entraîne avec soi beaucoup de gens dans une aventure : il faut bosser, il faut faire des études, il faut être audacieux aussi.