A la veille de l'euromanifestation des précaires et des salariés en Slovénie, John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats, dénonce la flexibilité à tout crin et demande une hausse générale des salaires.
Propos recueillis par Christian, LossonLIBERATION.FR : vendredi 4 avril 2008
Des salariés et des précaires de toute l'Europe manifesteront demain à Ljubljana, en Slovénie, à l'appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui regroupe toutes les grandes centrales européennes. Près de 40.000 personnes sont attendues pour dénoncer "la modération salariale comme seule variable d'ajustement". Rencontre avec John Monks, secrétaire général de la CES.
L’euromanifestation sonne-t-elle pour vous comme un appel au réveil syndical?
C’est déjà un appel aux ministres des Finances qui se réunissent la veille en Slovénie, un appel à faire entendre clairement et fortement notre voix sur des enjeux majeurs. A commencer par l’effondrement du pouvoir d’achat des travailleurs qui coincide avec l’explosion des profits des actionnaires et des grands patrons. Les inégalités salariales explosent, et l’on devrait rester silencieux? Il est intolérable, scandaleux, de voir que la part des salaires a fondu de plus de 3% dans les revenus nationaux en douze ans. Ils sont passés de 60% en 1995 à 57% en 2007.
Est-il plus difficile de faire entendre ce genre de revendications à l’heure où retentissent les sirènes de la rigueur?
Non, parce que cette tendance n’est pas liée aux conséquences de la crise des subprimes. Elle est lourde et continuelle depuis le début du millénaire; dans tous les pays européens, on assiste à un moins disant social: la montée des contrats précaires, des emplois à temps partiels, la révision du code du travail, le recul de l’âge de la retraite. Les trois quarts des nouveaux emplois en France sont sur des bases de contrats à durée déterminée. Et 6 millions d’Allemands sont payés à des salaires aux deux tiers plus bas que les salaires moyens. Les mauvais emplois succèdent aux bons jobs, cette tendance est endémique. La réalité, c’est que les employeurs ont fait passer le poids des risques sur leurs salariés, tout en s’enrichissant comme jamais. Celui qui paie, ce n’est plus l’actionnaire ou le boss, c’est le travailleur. Et ça, c’est nouveau.
La Banque centrale européenne estime que d’appeler à la hausse des salaires revient à mettre de l’huile sur le feu en ces temps inflationnistes...
Notre euromanifestation est la réponse à ce genre de discours monétariste, qui ne fait que promouvoir la modération salariale pendant que les hauts cadres de cette institution, à commencer par Jean-Claude Trichet, son président, jouissent de salaires stratosphériques. Pour la majorité des travailleurs européens, le quotidien, c’est la flambée des prix de l’énergie, le boom des prix des produits de première nécessité. Et bientôt, la hausse des services financiers que les banques, pressées de se refaire une santé après les dommages qu’elles se sont elles-mêmes infligées, ne vont pas manquer de répercuter sur leurs clients... Augmenter les salaires, c’est permettre une relance de la croissance par la consommation.
Pourquoi les réformes dites structurelles du marché du travail, les appels à la flexicurité ou la flexibilité se traduisent-elles par un nivellement par le bas des conditions de travail?
Tout dépend. La flexicurité danoise a permis de transformer cette économie en donnant de la sécurité à ceux qui perdaient leur emploi; c’est un bon modèle, il donne une sorte de police d’assurance aux travailleurs tout en conservant leur salaire. La flexibilité, en revanche, est souvent l’occasion de pousser les travailleurs dehors, ou de pousser les demandeurs d’emplois à trouver d’autres emplois moins qualifiés et/ou moins rémunérés.
Que pensez-vous des ouvriers de Renault en Roumanie qui se mettent en grève et auxquels le groupe répond en brandissant la menace de délocalisation hors d’Europe?
Le capital est mobile, et aucun mur de Berlin, aucune muraille de Chine ne peut l’arrêter. On a déroulé le tapis rouge pour des constructeurs de voitures japonais pour qu’ils s’installent en Europe. Les pays du Sud font la même chose avec les constructeurs européens. Les firmes n’ont plus la même allégeance que par le passé. En même temps, l’internationalisation du business, si elle entraîne des délocalisations, a aussi permis de créer des emplois, dont la France a plus bénéficié que d’autres. La mondialisation, ce n’est pas les Misérables, pas à sens unique, cela peut-être une chance. S’il y a partage équitable de la richesse et redistribution...
Le 5 octobre 2006, vous nous confiiez: "Nous sommes revenus au XIXe siècle, avant l'Etat providence". Partagez-vous toujours ce sentiment?
Je suis plus optimiste, paradoxalement. L’Etat providence résiste en Europe parce qu’il est populaire. De plus en plus de politiques en reconnaissent les vertus dans les politiques publiques de l’Etat. Peut-être parce qu’on est allé trop loin dans la démolition de ces vertus.
C’est déjà un appel aux ministres des Finances qui se réunissent la veille en Slovénie, un appel à faire entendre clairement et fortement notre voix sur des enjeux majeurs. A commencer par l’effondrement du pouvoir d’achat des travailleurs qui coincide avec l’explosion des profits des actionnaires et des grands patrons. Les inégalités salariales explosent, et l’on devrait rester silencieux? Il est intolérable, scandaleux, de voir que la part des salaires a fondu de plus de 3% dans les revenus nationaux en douze ans. Ils sont passés de 60% en 1995 à 57% en 2007.
Est-il plus difficile de faire entendre ce genre de revendications à l’heure où retentissent les sirènes de la rigueur?
Non, parce que cette tendance n’est pas liée aux conséquences de la crise des subprimes. Elle est lourde et continuelle depuis le début du millénaire; dans tous les pays européens, on assiste à un moins disant social: la montée des contrats précaires, des emplois à temps partiels, la révision du code du travail, le recul de l’âge de la retraite. Les trois quarts des nouveaux emplois en France sont sur des bases de contrats à durée déterminée. Et 6 millions d’Allemands sont payés à des salaires aux deux tiers plus bas que les salaires moyens. Les mauvais emplois succèdent aux bons jobs, cette tendance est endémique. La réalité, c’est que les employeurs ont fait passer le poids des risques sur leurs salariés, tout en s’enrichissant comme jamais. Celui qui paie, ce n’est plus l’actionnaire ou le boss, c’est le travailleur. Et ça, c’est nouveau.
La Banque centrale européenne estime que d’appeler à la hausse des salaires revient à mettre de l’huile sur le feu en ces temps inflationnistes...
Notre euromanifestation est la réponse à ce genre de discours monétariste, qui ne fait que promouvoir la modération salariale pendant que les hauts cadres de cette institution, à commencer par Jean-Claude Trichet, son président, jouissent de salaires stratosphériques. Pour la majorité des travailleurs européens, le quotidien, c’est la flambée des prix de l’énergie, le boom des prix des produits de première nécessité. Et bientôt, la hausse des services financiers que les banques, pressées de se refaire une santé après les dommages qu’elles se sont elles-mêmes infligées, ne vont pas manquer de répercuter sur leurs clients... Augmenter les salaires, c’est permettre une relance de la croissance par la consommation.
Pourquoi les réformes dites structurelles du marché du travail, les appels à la flexicurité ou la flexibilité se traduisent-elles par un nivellement par le bas des conditions de travail?
Tout dépend. La flexicurité danoise a permis de transformer cette économie en donnant de la sécurité à ceux qui perdaient leur emploi; c’est un bon modèle, il donne une sorte de police d’assurance aux travailleurs tout en conservant leur salaire. La flexibilité, en revanche, est souvent l’occasion de pousser les travailleurs dehors, ou de pousser les demandeurs d’emplois à trouver d’autres emplois moins qualifiés et/ou moins rémunérés.
Que pensez-vous des ouvriers de Renault en Roumanie qui se mettent en grève et auxquels le groupe répond en brandissant la menace de délocalisation hors d’Europe?
Le capital est mobile, et aucun mur de Berlin, aucune muraille de Chine ne peut l’arrêter. On a déroulé le tapis rouge pour des constructeurs de voitures japonais pour qu’ils s’installent en Europe. Les pays du Sud font la même chose avec les constructeurs européens. Les firmes n’ont plus la même allégeance que par le passé. En même temps, l’internationalisation du business, si elle entraîne des délocalisations, a aussi permis de créer des emplois, dont la France a plus bénéficié que d’autres. La mondialisation, ce n’est pas les Misérables, pas à sens unique, cela peut-être une chance. S’il y a partage équitable de la richesse et redistribution...
Le 5 octobre 2006, vous nous confiiez: "Nous sommes revenus au XIXe siècle, avant l'Etat providence". Partagez-vous toujours ce sentiment?
Je suis plus optimiste, paradoxalement. L’Etat providence résiste en Europe parce qu’il est populaire. De plus en plus de politiques en reconnaissent les vertus dans les politiques publiques de l’Etat. Peut-être parce qu’on est allé trop loin dans la démolition de ces vertus.