L'économiste Christian Jacquiau décrypte pour Marianne2 la mystification du projet de loi LME qui, sous couvert de défendre le pouvoir d'achat, fait le lit de l'oligopole de la grande distribution.
Source : http://www.marianne2.fr/
Reconnaissant ses erreurs sur presque tous les sujets, Nicolas Sarkozy nous la joue désormais profil bas. Sans rien changer au fond. Sur RTL, Nicolas Poincaré s'est livré dans l'émission On refait le monde du 25 avril 2008 à un édifiant montage de son mea culpa télévisuel
Florilège : Le paquet fiscal ? «Une erreur de communication totale».
La carte famille nombreuse ? «On a commis une erreur».
Ingrid Betancourt ? «Peut être que j'ai mal fait ».
La cacophonie au gouvernement ? «J'ai sans doute fait une erreur».
La surmédiatisation de sa vie privée ? «Sans doute ai-je une part de responsabilité».
C'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma très grande faute...
Est-ce l'arrivée de Thierry Saussez, parachuté dans la précipitation sur l'Élysée pour sauver l'image du soldat Nicolas qui lui donne tant d'humilité ?
Ou bien s'agit-il d'un nouvel exercice de communication cachant à peine une incapacité chronique pour notre champion de la réforme (55 au compteur dès la première année de son quinquennat) de se réformer lui-même ?
Un Président fâché avec l'économie
Le président Sarkozy est un homme qui va vite.
Dans la confusion qui règne à l'Élysée, il travaille désormais à la mise en oeuvre de décisions soufflées par des conseillers de passage (le lobby de la grande distribution, Jacques Attali, Michel-Edouard Leclerc et quelques autres...) aux effets pour le moins contre-productifs, inflationnistes, destructeurs d'emplois et donc… réducteurs de pouvoir d'achat. De quoi alimenter ses futures confessions télévisuelles.
À la question de la journaliste Véronique Auger (France 3) : «Vous aviez dit que vous seriez le président du pouvoir d'achat», Nicolas Sarkozy rabâche : «Le problème de la France c'est qu'on ne travaille pas assez, que par conséquent on n'a pas assez de croissance et pas assez de pouvoir d'achat».
Et si c'était rigoureusement le contraire ?
Et s'il était, par ses décisions à l'emporte-pièce, un facteur aggravant de la situation ?
Qui peut croire sérieusement que la compression du pouvoir d'achat (maintien des salaires au plus bas, réduction des prestations sociales, application de la franchise médicale, etc.) accentuée encore par la volonté annoncée de baisser les prix à la production (ce qui ne peut qu'avoir un effet négatif sur les revenus des producteurs, des entreprises et de leurs salariés) pourrait déboucher sur une progression de la consommation susceptible de faire tourner nos usines à plein régime, au point qu'elles en arriveraient à embaucher massivement ?
Qui, à part peut-être Jacques Attali, ceux qui l'écoutent, et tous ceux qui ont intérêt à nous faire avaler cette incroyable couleuvre ?
«J'ai maintenant la possibilité de deux leviers supplémentaires», précise ce président décidément fâché avec la chose économique.
Quels sont donc ces deux miraculeuses manettes qu'il sort soudain de sa botte ?
« D'abord sur les prix. J'ai regardé les comparaisons de prix dans les grandes surfaces, ça va pas faire plaisir à tout le monde ce que je dis, mais c'est la vérité. Ce sont des chiffres qui ont été publiés par la commission européenne. Les prix ont davantage augmenté en France que dans la quasi totalité des i[autres pays d'Europe».
«C'est pas normaaaaaaal !», s'exclame le président, traînant sur les mots comme pour mieux exprimer son indignation du moment. Le constat n'est pourtant pas nouveau. Cela fait longtemps que la France est en tête des pays européens les plus chers. «Les prix ont augmenté au moment (du passage à) l'euro et c'est un beau mensonge que de le contester», affirme-t-il aujourd'hui un brin accusateur.
«Y'a pas de raison (sic) que les consommateurs français payent plus cher le même produit», s'indigne le président dans une envolée de comptoir, se gardant bien toutefois d'apporter une quelconque analyse à cet incontestable constat que font les citoyens français au quotidien.
Un cadeau à l'oligopole de la grande distribution
Comment expliquer cette incroyable différence de prix alors que le territoire français est le plus maillé au monde en terme de mètres carrés de grandes surfaces par habitants ?
La France compte en effet un hypermarché pour 46 000 habitants lorsqu'il y en a un pour 51 000 habitants en Allemagne et un pour 130 000 habitants en Italie !
De cela, Nicolas Sarkozy ne dira mot. Et pour cause puisqu'il entend bien renforcer la puissance de ces oligopoles en donnant davantage de pouvoir encore aux centrales d'achat de ses amis de la grande distribution !
À un Patrick Poivre d'Arvor l'interrogeant sur les multiples «tables rondes» réunies sur le sujet et n'ayant débouché sur rien, Nicolas Sarkozy répond sans vergogne : «nous avons progressé en supprimant une partie des marges arrière. Je ne vais pas entrer dans le détail de tout cela. Luc Chatel et Christine Lagarde présenteront un texte au mois de juin qui va permettre la négociabilité entre les fournisseurs et les grandes surfaces...», déclenchant manifestement interrogations et scepticisme chez les cinq journalistes venus l'interroger.
«Les fournisseurs de l'industrie agroalimentaire et les agriculteurs ne sont pas contents par rapport à cette loi. Ils estiment que cela va faire pression sur leurs marges à eux...», l'interrompt alors la journaliste Véronique Auger.
Le pouvoir accru, accordé sans contrepartie, sans garde-fou, aux centrales d'achat de la grande distribution ne peut, en effet, qu'avoir un impact dévastateur sur l'amont (les agriculteurs, les PME/PMI, l'industrie agroalimentaire et leurs sous-traitants) et en cascade : sur les salariés des filières, leurs emplois et leur pouvoir d'achat.
Le gouvernement Fillon, inspiré par le fameux rapport Attali, avait déjà réussi l'exploit de mettre les avocats et les coiffeurs dans la rue. Nicolas Sarkozy s'apprête à faire beaucoup mieux encore en faisant voter ces lois Chatel / Lagarde, réclamées depuis tant d'années par le lobby de la grande distribution.
Fait sans précédent, l'Ania (Association Nationale des Industries Alimentaires), la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), le réseau COOP de France (coopératives agricoles), la CGGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises), la FEEF (Fédération des entreprises et entrepreneurs de France), la CGI (Confédération française du commerce interentreprises) et l'ILEC (Institut de liaison et d'études des industries de consommation), organisations en général plutôt légitimistes pour ne pas dire conservatrices, se sont déclarées prêtes à manifester devant l'Assemblée Nationale si le gouvernement ne revoit pas d'urgence sa copie. Du jamais vu !
Réponse de celui qui a la charge de l'intérêt de la Nation, face à un panel de journalistes totalement médusés : «Ça pour faire pression on va faire pression !» (sic), ajoutant encore dans son langage de président : «Ça y sont pas contents... C'est moi qui suis pas content parce que les prix augmentent plus en France qu'ailleurs !».
L'industrie agroalimentaire française emploie 400 000 personnes et occupe, avec un chiffre d'affaires annuel de 140 milliards d'euros, la deuxième place mondiale du secteur, derrière les Etats-Unis.
Pourtant le président semble avoir choisi son camp. Et ce ne sont pas ces arguments de poids qui le feront fléchir, même si la pression des centrales d'achat sur le monde agricole et sur le monde de l'entreprise conduit inéluctablement à la compression de personnel (accélération des délocalisations et amplification de la recherche de sous-traitants socialement moins disant) et à la régression sociale.
«Les salaires en France sont trop bas, les charges sont trop hautes », lance Nicolas Sarkozy à la cantonade ignorant avec superbe que moins de salariés, c'est mécaniquement moins de cotisations sociales, patronales et salariales, ce qui surenchérit les coûts sociaux pour les cotisants restants et alimente le fameux discours sur le « trop de charges».
Moins de salariés c'est aussi moins d'impôts levés, avec pour conséquence globale la diminution des prestations de santé et de retraite, la remise en cause des services publics (fermeture au nom de la modernisation d'hôpitaux, de maternités, d'écoles, de tribunaux, de bureaux de poste ou encore de gare SNCF dites secondaires).
Au final, c'est la porte ouverte à la privatisation de tout ce qui faisait le lien social.
Nicolas Sarkozy est-il aussi naïf qu'on pourrait le penser ou bien, sous des airs de faux candide qui ne trompent plus que 28 % de l'opinion, s'inscrit-il résolument dans une fuite en avant tendant à imposer au pays un ultralibéralisme sauvage qui ne sert que les intérêts de ces puissances financières au sein desquelles il compte de nombreux amis ?
«Il faudra m'expliquer pourquoi le même produit augmente davantage lorsque c'est le consommateur français qui va dans une grande surface en France que lorsque c'est le consommateur allemand qui va dans une grande surface en Allemagne».
Quels sont donc ces conseillers du prince qui ont ainsi intérêt à lui mentir, au point de lui cacher jusqu'à l'impact désastreux des pratiques de la grande distribution française, parmi lesquelles ces fameuses marges arrière dont il semble tout ignorer des mécanismes ?
«Depuis que je suis élu président de la République, il y a eu la crise dite des subprimes qui est en vérité la crise d'un capitalisme financier qui marche sur la tête, qui a fait la part trop belle aux spéculateurs au détriment des entrepreneurs».
Est-ce une raison pour renforcer les pouvoirs de négociation (en fait de spéculation) de la grande distribution ?
Des cris d'alarme du monde paysan ou de celui plus inattendu des groupes de l'agroalimentaire, le président semble n'avoir cure, bien décidé d'appliquer les préconisations d'un rapport Attali inspiré du rapport Canivet, lui-même plus qu'inspiré par un certain Michel Édouard Leclerc, ami du président.
«Alors qu'ils soient pas content j'en suis… euh... tout à fait désolé » (sic) dira le président avant d'ajouter : « Ça ne change en rien ma détermination. Je rendrai aux Français du pouvoir d'achat en obtenant soit la baisse des prix, soit en tous cas la maîtrise de l'augmentation».
Rendre du pouvoir d'achat en obtenant la maîtrise de… l'augmentation ?
Le candidat l'avait promis. Désormais avec Nicolas Sarkozy tout devient possible !
«J'avais pris l'exemple invraisemblable du jambon qui avait augmenté de 40 % en grandes surfaces alors qu'il y avait une crise des éleveurs de porcs qui voyaient leurs prix de vente baisser. Alors y a bien quelqu'un qui entre le consommateur qui paie plus cher et le producteur à qui on paye moins cher, y a bien quelqu'un qui dégustait, en l'occurrence c'est le consommateur. Je ne l'accepte pas». (sic)
Explication de texte : ce « quelqu'un » entre le consommateur et le producteur que le président désigne ici comme consommateur / dégustateur n'est autre que la grande distribution et ses centrales d'achat qui se goinfrent véritablement sur le dos de ceux qui leur font confiance.
Dommage qu'il n'y ait personne dans l'entourage de Nicolas Sarkozy pour lui expliquer que le taux de marges arrière exigé de leurs fournisseurs par les distributeurs dépasse allègrement les 70 % du prix des produits de charcuterie industrielle ! Faut-il s'étonner alors qu'en bout de chaîne les producteurs vendent à perte ?
Le pire c'est que le même Nicolas Sarkozy s'apprête à leur donner carte blanche afin qu'ils puissent exiger davantage encore de leurs fournisseurs !
N'ayant manifestement rien compris au système de la grande distribution - ou feignant de ne pas le comprendre -, Nicolas Sarkozy qui, candidat, avait promis d'aller chercher la croissance « avec les dents » en arrive, à présent, à menacer ceux qui en sont victimes.
« Je vais aller beaucoup plus loin », annonce-t-il. « Et même si je dois convaincre ma propre majorité parlementaire, il faut changer la loi dite Raffarin sur l'urbanisme commercial pour mettre davantage de concurrence. Il faut changer la loi Galland sur la négociabilité des prix parce qu'il faut une vraie concurrence au service des consommateurs ».
Supprimer les modestes contraintes que constituait la loi Raffarin (soumettant à autorisation mais autorisant les nouvelles implantations) puis instaurer et légaliser une impensable concurrence déloyale entre le commerce de proximité et les grands réseaux de distribution fait désormais partie de la panoplie de ce président fâché avec les principes les plus élémentaires de l'économie.
En renforçant l'oligopole constitué par les six centrales d'achat de la grande distribution, le gouvernement s'apprête à accroître leur pouvoir de négociation sur l'amont (agriculteurs et industriels) ce qui ne peut se traduire que par une pression accrue sur les coûts de production, de nouveaux plans sociaux, de nouvelles délocalisations et au final : moins de pouvoir d'achat distribué, moins d'emplois et moins de croissance !
«Il y a eu en deux ans une augmentation de 20 % des travailleurs pauvres», lui pourtant rappelé une Véronique Auger très incisive.
Mais Nicolas Sarkozy a d'autres trucs encore pour relancer la sacro-sainte croissance.
«La deuxième chose qui va me permettre de donner du pouvoir d'achats aux français : le premier ministre déposera un texte dans les 15 jours sur l'intéressement et là, c'est un véritable... projet de société».
De quoi s'agit-il ?
«Il y a des entreprises qui font des profits, et c'est tant mieux, et on peut pas s'en plaindre. II faut souhaiter que toutes les entreprises fassent des profits, des profits souvent considérables et c'est tant mieux, mais il faut que chaque salarié des entreprises puisse en profiter. J'observe qu'en France, les entreprises de moins de 50 salariés ne sont pas obligées de faire la participation ou de faire l'intéressement (sic) et bien désormais, une entreprise qui distribuera une partie de ses bénéfices à ses salariés paiera moins d'impôts sur les bénéfices».
Une promesse qui n'engage que celui qui la professe, puisque la négociabilité des prix réduira les bénéfices de nombre d'entreprises, notamment les plus petites et les plus fragiles, et que l'intéressement risque bien dans ce contexte de se réduire à peau de chagrin.
Qui donc peut vouloir tant de mal à Nicolas Sarkozy pour le conseiller de s'engager dans une telle voie sans issue ?
À moins que décidé de donner tort à ceux de ses détracteurs qui pensent qu'il a définitivement tourné le dos au Grenelle de l'environnement, le président n'engage la France avec volontarisme, personne n'oserait croire que c'est à l'insu de son plein gré, dans une véritable politique de… décroissance ?
Il voudrait le faire qu'ils ne s'y prendrait pas autrement.