Par Maurice Lemoine, publié dans Le Monde Diplomatique du 15 Mai 2008.
Le 13 mai au matin, le gouvernement colombien a créé une (relative) surprise en extradant quatorze anciens chefs des groupes paramilitaires aux Etats-Unis. Il s’agit de très « gros poissons » : MM. Salvatore Mancuso, Ernesto Báez, Ramiro « Cucu » Vanoy, Hernán Giraldo, Francisco Javier Zuluaga (alias « Gordo Lindo »), Diego Fernando Murillo (« don Berna »), Rodrigo Tovar (« Jorge 40 »), etc.
Tous s’étaient démobilisés en 2005 (en compagnie de trente et un mille de leurs combattants) et avaient été détenus dans le cadre de la loi Justice et paix. En échange de leur collaboration à l’« établissement de la vérité » sur les centaines de massacres et les milliers d’assassinats du paramilitarisme, celle-ci leur assurait des peines dérisoires – au maximum huit années de prison.
Peu satisfaits de leur sort, et pour faire pression sur le gouvernement, nombre de ces paramilitaires ont commencé à parler. Trop ! Au fil de leurs révélations, le scandale dit de la « parapolitique » a mis au jour les liens, connivences, opérations conjointes et collaborations entre les paramilitaires et environ cent cinquante personnes, dont (à ce jour) soixante-trois députés et sénateurs, tous appartenant aux partis appuyant le président Alvaro Uribe. Trente-trois de ces congressistes ont déjà été arrêtés. De même que M. Jorge Noguera, ancien chef du département administratif de sécurité (DAS), très proche du chef de l’Etat (profitant de son poste, il transmettait aux paramilitaires des listes de syndicalistes à assassiner).
Les dernières déclarations de certains paramilitaires ont fait monter la pression. Cette fois, l’exécutif a commencé à être mis en cause — y compris M. Juan Manuel Santos (ministre de la défense), Francisco Santos (vice-président de la République) et le président de la République Alvaro Uribe lui-même, dont le cousin, M. Mario Uribe, a été incarcéré.
On se souvient que, en décembre 1989, les Etats-Unis ont envahi le Panamá au motif d’arrêter le général Manuel Antonio Noriega, chef du gouvernement et homme fort du pays. Individu particulièrement trouble, narcotrafiquant, il avait également été, entre 1970 et 1982, un collaborateur appointé de la CIA ; dans les années 1980, il avait aidé les Etats-Unis dans leur lutte contre les sandinistes par contras (contre-révolutionnaires) interposés. Lors de son procès, la défense de M. Noriega se vit interdire d’évoquer tout argument d’ordre politique, les liens de l’ex-général avec les Etats-Unis et, en particulier, ses rencontres avec M. George H. W. Bush, directeur de la CIA (1976), puis vice-président de Ronald Reagan (1981-1989). M. Noriega fut jugé pour ses seules activités liées au narcotrafic.
On peut prévoir que les Etats-Unis rendront le même service au président Uribe. En jugeant les paramilitaires colombiens pour avoir introduit des centaines de kilos de cocaïne aux Etats-Unis, blanchi l’argent de cette drogue et collaboré avec des entreprises terroristes, ils mettent un terme aux révélations de ces derniers, en Colombie, sur les autres crimes dont ils se sont rendus coupables et, surtout, sur leurs liens avec la classe politique colombienne, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.