Le coup de théâtre parlementaire qui a empêché, le 13 mai, le vote de la loi OGM résulte du heurt entre deux visions antinomiques de l’agriculture et des territoires.
Celle qui a prévalu dans ce vote-surprise relève de la défense de la diversité des pratiques agricoles et de la souveraineté alimentaire.
Agnès Sinaï, Le Monde Diplomatique du 14 Mai 2008
Des options portées par le protocole de Carthagène sur la biosécurité, en cours de discussion à Bonn (Allemagne) sous l’égide des Nations unies. Ce protocole donne aux Etats qui l’ont ratifié la possibilité de refuser l’importation d’organismes vivants génétiquement modifiés. Les négociations doivent définir, au plus tard en mai 2008, le futur régime de responsabilité auquel seront soumis les producteurs de semences transgéniques. En faisant jouer la clause de sauvegarde, issue de ce protocole, pour suspendre l’autorisation du maïs transgénique MON 810, La France a pris acte en janvier dernier de ces nouvelles possibilités juridiques.
Mais, au printemps, pressé par les lobbies de l’agro-industrie, et devant le retard pris dans la transposition de la directive européenne 2001/18, le gouvernement a présenté la loi OGM, dans laquelle les décisions du Grenelle de l’environnement sont apparues dénaturées. La liberté de cultiver et de consommer « sans OGM » s’est transformée, dans la loi adoptée de justesse en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 avril dernier, en liberté de cultiver « avec ou sans OGM ». Une formulation qui renvoie dos à dos deux visions antinomiques de l’agriculture – à charge, pour les préfectures, de régler au cas par cas les problèmes posés par la « coexistence » de cultures de terroirs et de monocultures transgéniques.
Au-delà du débat technique, c’est une question de société qui a sous-tendu le débat parlementaire. Le retentissement de l’amendement Chassaigne, le fameux « amendement 252 », puis de la motion de procédure votée de justesse le 13 mai, signale la discordance de modèles et d’échelles de développement à terme incompatibles. Cet amendement prévoyait effectivement que l’utilisation des OGM ne pouvait se faire « qu’en respectant non seulement l’environnement et la santé publique, mais aussi les structures agricoles, les écosystèmes régionaux et les filières commerciales qualifiées sans organismes génétiquement modifiés ».
Il n’est pas sûr que, dans cette guerre des mondes agricoles, Monsanto gagne la bataille. Les utilisateurs de semences transgéniques prendront-ils le risque de contaminer le champ du voisin, alors qu’aucune compagnie d’assurance n’est prête à couvrir des risques encore mal estimés ? Il est encore moins sûr qu’à l’heure où le sac de 50 kilos de riz coûte plus de 70 dollars là où 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, les semences sous brevet de Monsanto constituent une réponse à la pénurie alimentaire, au changement climatique et à la concurrence effrénée des producteurs du Nord.
Une chose est certaine, c’est le déficit démocratique qui entoure les inventions biotechnologiques. La suprise parlementaire du 13 mai n’empêchera probablement pas la loi d’être imposée par le biais de la commission mixte paritaire qui s’est réunie dès le lendemain du vote. Bien que 85 % des Français désapprouvent les OGM, cette loi devrait, sous la pression de l’agro-industrie, être adoptée. Mais son manque de légitimité, sa discordance avec l’éthique de la précaution, son décalage par rapport aux besoins réels des territoires la rendront, un jour ou l’autre, caduque.