Alain Brossat (1), professeur de philosophie à l’université Paris-VIII-Saint- Denis, invite à ne pas se laisser intimider par l’agitation et l’interventionnisme du chef de l’État. Au niveau européen, celui-ci devrait connaître de sérieuses déconvenues, dont les conséquences pour les peuples ne sont pas écrites.
Europe, 35 heures, médias… Ces derniers jours, le président de la République fait feu de tout bois. Est-il en train de franchir un nouveau seuil dans l’autoritarisme ? Ce terme estil d’ailleurs le plus approprié pour caractériser son exercice du pouvoir ?
Le point difficile, c’est effectivement de faire la part de ce qui relève de coordonnées personnelles du personnage Sarkozy et de ce qui renvoie à des continuités historiques. Prenez l’arsenal de toutes les mesures policières, juridiques (la loi sur la rétention, le traitement des étrangers en situation irrégulière, etc.). Sur ce plan, il faut remettre les choses dans le temps long de l’histoire. Nicolas Sarkozy durcit, systématise des méthodes et des conceptions qui lui préexistent. Il y a dans la vie politique de ce pays certaines lignes de force convergeant dans l’établissement de ce qu’on appelait naguère un État policier. Attention, pour autant, à ne pas amoindrir ou relativiser les propres responsabilités de Nicolas Sarkozy. Simplement, celui-ci n’est pas l’inventeur de tout ce qui se met en place actuellement sous son impulsion. Les libertés que la police prend en France avec les libertés publiques, par exemple, cela renvoie à une longue tradition. Alors, doit-on parler d’autoritarisme ? C’est une question à part entière. Ce qui est certain, c’est que le pouvoir personnel, lui aussi, plonge loin ses racines dans l’histoire de la Ve République. Dès 1958, la gauche reprochait à de Gaulle l’hyperpersonnalisation du pouvoir. Il n’est pas évident de pointer avec précision les points de ruptures.
Que diriez-vous de l’attitude de Sarkozy vis-à-vis de l’armée ?
Sur les questions d’économies, la hiérarchie militaire a des réflexes conditionnés. Dès qu’on touche un centime au budget, elle se met à crier à l’assassin et au voleur. Or que défendent ces gens-là ? Ils défendent les sous-marins nucléaires, par exemple, c’est-à-dire des projets pas nécessairement recommandables. Ils défendent une politique luxueuse et dispendieuse, par rapport, notamment, à ce que sont les affectations budgétaires pour le social. Donc, ne les mettons pas en position de victime. Mais sur la façon de s’y prendre, il y a effectivement à redire, par rapport à une certaine brutalité. En même temps, le candidat Sarkozy avait annoncé celle-ci avant son élection à la présidence.
Dans ce cas, où situez-vous l’originalité du chef de l’État ?
Ce qui surprend le plus, actuellement, c’est que Nicolas Sarkozy pratique sa brutalité avec à peu près tout le monde, presque tous les secteurs de la société. Je crois qu’il va effectivement finir par se mettre réellement en difficulté. Avec le pouvoir médiatique, il se met en ce moment dans une position litigieuse. Or ce pouvoir est devenu, en France, hyperpuissant. Et de quelles assises sociales l’exécutif peut-il aujourd’hui se prévaloir ? En vérité, le régime de Sarkozy est pareil à une pyramide plantée sur sa pointe. Il a donc très largement besoin des médias.
Mais comment expliquer, alors, le comportement de Nicolas Sarkozy vis-àvis de ces derniers ?
Il ne supporte pas la contrariété. C’est la clé de compréhension de ses comportements. Quand il croise un technicien dans les couloirs de France 3 et que ce technicien se détourne, il ne le supporte pas. Cela témoigne bien d’une grande fragilité, qui va assurément lui jouer des tours. Il faut souligner, à cet égard, le caractère inédit du contexte. La France vient de prendre la présidence européenne. Cela va porter la folie du personnage à une autre échelle. Tout le monde va s’y trouver confronté. Or, les interlocuteurs européens ne sont pas non plus du genre à se laisser intimider. Nicolas Sarkozy a tenté d’imposer aux Espagnols ses solutions sur la question de l’immigration clandestine. Ceux-ci l’ont envoyé promener. Je pense qu’on va voir le même scénario se reproduire sur les autres dossiers qui seront abordés. Dès que Sarkozy se projette sur la scène internationale, son bluff ne marche plus.
(1) À notamment publié Bouffon Imperator, pamphlet consacré aux cent premiers jours d’exercice de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement.