Des médias incultes et grégaires ont relayé la réunion Ps de La Rochelle à l'aune de leur approche de la politique : celle de parieurs du PMU devant une course de chevaux. En contrepied à ces caricatures, Claude Bartolone revient -le 3 septembre dans une lettre aux signataires de la contribution Fabius- sur la réalité des choses et les enjeux du prochain congrès socialiste.
Chère camarade, cher camarade,
Mais que s’est-il donc passé à la Rochelle ? C’est la question que se posent les militants, sympathisants, électeurs qui ne s’y trouvaient pas et qui sont souvent déboussolés, voire dégoûtés. On les comprend : à lire les commentaires, les trois jours de l’université d’été n’auraient été que pugilat, divisions, repli du parti sur lui-même… Pour démêler le vrai du faux, j’ai pensé utile de te dire comment, avec Laurent Fabius et les camarades de notre sensibilité, nous avons vécu cette université d’été.
A la Rochelle , nous avons combattu la politique de N. Sarkozy en faisant des propositions pour une alternative crédible en France et en Europe. Dans « université d’été », il y a « université », autrement dit réflexion collective. Celle-ci a été riche, vivante, et il est regrettable que les médias n’aient pas davantage mis en avant la participation active de 4 000 militants, élus locaux, cadres fédéraux, responsables nationaux au sein des 21 ateliers qui ont rythmé le week-end. De nombreux amis ont participé aux tables rondes : Pervenche Berès (« le Manifeste du PSE 2009 »), Bariza Khiari (« le projet socialiste de coopération franco-méditerranéenne »), Guillaume Bachelay (« ce que les sociaux-démocrates peuvent faire du traité de Lisbonne »), Henri Weber (« où en est la présidence française de l’UE ? »), Alain Vidalies (« le code du travail en miette : le vrai projet Sarkozy-Fillon »), André Laignel (« Comment l’UMP étrangle les collectivités locales »), Claude Roiron (« l’école, la recherche, l’université : la droite contre le savoir »), Vincent Léna (« la solidarité urbaine : l’impensé de la droite »), Didier Mathus (« l’audiovisuel selon Sarkozy-Fillon »), moi-même (« quelle politique économique et sociale de gauche ? ») et d’autres encore. Avec conviction, nous avons fait partager aux camarades les analyses et les réponses de « Reconstruire à gauche ».
Je veux tout particulièrement attirer ton attention sur la séance plénière consacrée à l’Europe qui s’est déroulée dès l’ouverture de l’université d’été. Dans le grand auditorium, Laurent Fabius en était le grand témoin. Il a pu développer son diagnostic de la crise de la social-démocratie européenne, sa volonté de substituer le « juste échange » au libre échange pour développer nos économies et protéger nos modèles sociaux, sa critique de la politique européenne de N. Sarkozy qui préfère le magma institutionnel à la relance des politiques concrètes pour les Européens. Afin de mettre le PS et le PSE sur les bons rails en vue des élections européennes de juin 2009, Laurent Fabius a avancé cinq propositions précises sur l'Europe : une clause de sauvegarde sociale, une coopération renforcée en matière de recherche et d’innovation, une véritable communauté européenne de l'énergie, un programme européen d'investissements massifs et un espace Schengen de la défense. Dans la salle, les 400 militants présents ont, semble-t-il, approuvé ces orientations précises, tournées vers le futur, qui permettent de dépasser les oppositions du Oui et du Non au traité constitutionnel européen. Car tous les socialistes sont des pro-européens convaincus. Et la crise du modèle libéral exige un sursaut de la gauche européenne. Les médias, sans surprise, se sont fait peu l’écho des propositions concrètes formulées par Laurent. A chacune et chacun de nous, maintenant, de les marteler dans nos sections et nos fédérations. Et poser une question simple : à la Rochelle , quels autres dirigeants socialistes ont fait de même, c’est-à-dire voulu donner à nos militants des outils pour convaincre et tourner le PS vers les Français et vers l’avenir ?
Bien entendu, la Rochelle fut aussi l’acte I du Congrès de Reims. Pour toutes les sensibilités présentes, ce fut le moment d’échanger avec d’autres. Pour tous les animateurs des contributions générales, ce fut la possibilité de promouvoir leurs analyses et leurs propositions. Pour les militants et les dirigeants, ce fut aussi l’occasion de discuter des candidats possibles au poste de premier secrétaire. Et c’est normal ! Dans un peu plus de dix semaines, les militants du Parti socialiste auront à se prononcer sur la ligne politique, la stratégie d’alliances, la direction chargée de mettre le parti en ordre de marche pour préparer l’alternance. Cela mérite que des sensibilités expriment leurs souhaits ! Les projets politiques s’incarnent dans des femmes et des hommes, que départagent les adhérents. On peut se moquer de la passion socialiste pour le débat, comme le font les dirigeants de l’UMP. On peut aussi y voir une richesse, la marque de notre histoire, la preuve de notre vitalité démocratique.
Nous sommes allés à la Rochelle avec la volonté de participer au pôle des Reconstructeurs qui constitue le véritable espoir d’un changement du PS. Voilà près d’un an, lors de notre réunion à Sciences-Po le 29 septembre 2007 , nous avons fait le choix de rencontrer et de débattre avec d’autres sensibilités socialistes pour tenter, dans la fidélité à nos convictions, de reconstruire ensemble notre parti. Nous avons continué le travail et, au fil de nos réunions (en janvier 2008 au Sénat et le 1 er juin lors de la journée nationale des reconstructeurs), un rassemblement possible s’est dessiné. Nous avons publié des textes communs et des tribunes qui ont montré notre convergence sur l’avenir de l’Europe, sur la nécessité d’inventer de nouvelles réponses à l’heure de l’épuisement de la social-démocratie traditionnelle et sur la conception du parti. Au début, notre initiative a suscité l’incrédulité et a été accueillie par une certaine indifférence. C’est sans doute parce qu’elle apparaît maintenant comme plus crédible que certains se déchaînent contre elle !
Le week-end dernier nous avons donc échangé avec Martine Aubry et ses amis, avec les partisans de Dominique Strauss-Kahn, avec Arnaud Montebourg et ses camarades, ainsi qu’avec les membres du NPS, notamment Benoît Hamon , avec lesquels nous avons beaucoup de convergences. Nous l’avons fait dans un souci de double transparence : transparence à l’égard des membres de notre sensibilité (en conviant Martine Aubry, Jean-Christophe Cambadélis et Benoît Hamon à notre réunion plénière de sensibilité pour qu’ils nous disent ce qu’ils attendent du Congrès) et transparence à l’égard de la presse (en participant à un large déjeuner auquel tous les responsables avaient été conviés). Là aussi, je pose une question simple : y a-t-il une autre sensibilité du parti qui a, en marge de l’université de la Rochelle , ouvert ses portes à des camarades de sensibilités différentes ? Seuls les reconstructeurs ont fait véritablement le choix de l’ouverture, du dialogue, de la camaraderie, en privilégiant le débat sur le fond aux aventures médiatiques personnelles.
Dans ces réunions, il a été surtout question de l’avenir de la gauche . Nous partageons aujourd’hui un même diagnostic : après 20 ans sans victoire présidentielle et 11 ans sans victoire législative, il est vital de changer en profondeur le PS. C’est l’intérêt général du parti qui nous motive. Les Français comprendraient-ils qu’après ces échecs, on maintienne à peu près les mêmes personnes, les mêmes candidats, les mêmes synthèses et les mêmes orientations politiques ? Nous voulons un nouvel Epinay entre des sensibilités et des responsables qui partagent l’essentiel, c’est-à-dire l’ancrage à gauche du PS, le refus de la peopolisation de la vie politique et de la présidentalisation du parti, l’opposition vigoureuse au sarkozysme, et l’exigence d’une refonte de la social-démocratie européenne. Certes, nous ne sommes pas d’accord sur tout. Mais pour gagner des élections, il ne faut pas simplement rassembler des gens qui pensent la même chose. Il faut être capable d’entraîner des sensibilités diverses. Et pour cela, il est indispensable de réunir des militants qui peuvent avoir des approches différentes sur telle ou telle question. Vouloir rassembler uniquement « ceux qui pensent la même chose », comme le proposent certains, est la meilleure recette pour rester éternellement minoritaires dans le pays .
Allons plus loin et regardons, là aussi, les faits. Où est le sectarisme ? Où se niche l’incohérence ? Le sectarisme est du côté de ceux qui, ces derniers jours, ont multiplié dans les médias les exclusives, voire les injures à l’égard de notre sensibilité. Que nous reprochent-ils ? D’avoir vu souvent juste, qu’il s’agisse de la laïcité en 2003, de la crise européenne en 2005, de la nécessité d’augmenter le pouvoir d’achat et d’abord le Smic en 2006, du refus de la TVA sociale en 2007 ou encore de la prise de conscience début 2008 d’un virage atlantiste et bushiste de la France en Afghanistan ? Pourquoi un tel rejet à notre égard ? On nous dit : les fabiusiens ne sont pas fréquentables parce qu’ils ont fait un choix différent en 2005. La manœuvre est un peu grosse. Pourquoi étions-nous fréquentables lors du Congrès du Mans, quand nous étions nécessaires à la synthèse, et pourquoi ne le serions-nous plus aujourd’hui ? Pourquoi d’autres responsables qui ont fait le choix du non, sont-il aujourd’hui des interlocuteurs acceptables, alors que nous ne le serions pas ? Tout cela montre bien qu’il ne s’agit que d’arguments de façade. L’ostracisme envers Laurent Fabius traduit avant tout la peur de certains de perdre le confort de la direction du parti ou de devoir se mesurer à l’un des seuls responsables socialistes qui a été capable jusqu’à présent de s’opposer efficacement (60 députés lui doivent leur siège) et de proposer positivement (voir ci-dessus les propositions sur l’Europe) ?
Quant à l’incohérence, on se pince pour y croire ! Ceux qui dénoncent les rencontres au grand jour entre socialistes n’oublient-ils pas que certains, entre les deux tours de la présidentielle, se rendaient, à la nuit tombée, au domicile de F. Bayrou pour quémander son soutien ? Sans oublier ceux qui se proclamaient au printemps « socialistes et libéraux » et qui veulent aujourd’hui donner des exemples de cohérence idéologique.
Nous ne sommes pas dupes de ces manœuvres qui consistent, par médias interposés, à installer la confusion dans l’esprit des militantes et des militants. Au fond, deux destins s’offrent au Parti socialiste :
- soit on réédite les recettes déjà essayées et qui ont conduit à l’échec (la présidentialisation du parti, la droitisation des analyses, la tentation de l’alliance au centre droit, la sous-estimation de la crise de la social-démocratie européenne, ainsi que la prétendue ritournelle de l’unité aux dépens du travail de fond et de la clarté de l’orientation politique). Ce sont des impasses.
- soit on change en profondeur – c’est l’autre destin possible pour le PS – pour affirmer un socialisme décomplexé. C’est ce qu’appellent de leurs vœux, chacun avec ses mots, son histoire, sa personnalité, notamment Martine Aubry, Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Paul Huchon, Benoît Hamon , d’autres, et bien sûr nous toutes et tous, autour de Laurent Fabius. A ces responsables d’être à la hauteur du moment historique dans lequel se trouve le Parti socialiste en réussissant à bâtir, avec d’autres comme le pôle écologique de notre ami Géraud Guibert , un projet de reconstruction à vocation majoritaire. Y a-t-il aujourd’hui au sein de notre parti une autre proposition de changement à la mesure de celle-ci ? Y a-t-il une autre perspective collective aussi innovante ?
Une dernière question : parmi ces deux offres, laquelle redoutent à la fois N. Sarkozy , notre adversaire de droite, et O. Besancenot, notre concurrent d’ultragauche ? Poser la question, c’est y répondre.
Refusons la confusion et contribuons à la clarification réclamée par les militants qui s’apprêtent à lire les motions en septembre, à choisir une orientation, puis à désigner une direction nouvelle avec un ou un(e) premier(e) secrétaire courant novembre. Soyons fidèles à notre volonté de « rassembler à gauche ». A ce stade, Martine Aubry présente de nombreux atouts qui font d’elle un pivot de ce rassemblement. Elle symbolise la gauche qui réussit localement. Elle porte une ligne politique qui ne confond pas la gauche et la droite. Elle refuse la présidentialisation et se place sur le terrain collectif. Elle est capable, nous l’espérons, de rassembler largement.
Nous sommes déterminés plus que jamais à changer le PS pour éviter qu’il se brise sur ces deux récifs que sont l’immobilisme et le libéralisme. Au cours de ce congrès, nous débattrons dans la sérénité et la clarté, proposerons à gauche, agirons avec d’autres pour bâtir une majorité de renouveau. Je t’invite à suivre cette feuille de route dans ta section et au sein de ta fédération. A nous de montrer l’exemple et le chemin. Pour que Reims soit le début du renouveau socialiste qu’attendent nos camarades, nos électeurs, notre pays et l’Europe.
Amicalement,
Claude Bartolone