Paul Quilès, ancien ministre et l'un des animateurs du courant "C" de Benoît Hamon, analyse les causes du spectacle de division donné par les socialistes, après le scrutin pour le 1er secrétariat.
Ce qui vient de se produire au PS est détestable, mais peu surprenant pour qui suit l’évolution de ses modes de fonctionnement depuis une quinzaine d’années.
Voir aussi les propositions faites pour une rénovation utile du PS sur le blog de Paul Quilès
Le psychodrame d’une extrême gravité auquel on assiste peut en effet
s’analyser comme la conséquence cumulative de six phénomènes :
1- La « présidentialisation » du PS s’est accentuée avec les décisions de Lionel Jospin en 2000 (quinquennat et inversion du calendrier électoral, faisant de la présidentielle la pierre angulaire de la compétition électorale). Il en a résulté une véritable obsession des leaders du PS à chercher à contrôler l’appareil, de façon à être en situation favorable pour l’élection présidentielle. Même ceux ou celles qui avaient peu d’appétence pour ce type de responsabilité se sont sentis « obligés » de concourir.
2- La médiatisation extrême (surtout télévision et Internet) conduit à accentuer les prises de position publiques des leaders socialistes, dans un souci prétendument de transparence, mais surtout pour s’adresser directement aux militants qui votent. L’effet en est souvent désastreux auprès des non militants pour au moins deux raisons : le décalage entre les bons sentiments affichés et la dureté des mots et des comportements publics ; l’incompréhension par les non militants des « codes internes » et parfois même des expressions utilisées.
3- Le rôle de plus en plus prédominant des « grands élus » et des fédérations qu’ils contrôlent. Leur influence a toujours existé et, à l’époque de la SFIO, les « Bouches du Nord » -qui rassemblaient les fédérations des Bouches du Rhône, du Nord et du Pas de Calais- faisaient et défaisaient les congrès. Aujourd’hui, ce phénomène s’est accentué jusqu’à la caricature dans un grand nombre de départements, en raison de la décentralisation et du succès des socialistes aux élections locales. La proportion d’élus (anciens, actuels…ou potentiels) et d’adhérents liés à ces élus est devenue considérable dans de nombreuses sections et fédérations.
4- La décision de faire un référendum interne pour décider de la position officielle du PS à propos du traité constitutionnel européen a été une erreur collective, qui a laissé des traces durables et, parfois, violentes, au sein du parti. Il eut été plus courageux de laisser la direction issue du précédent congrès prendre une décision en cohérence avec la ligne clairement affichée en 2004, lors des élections européennes, qui avaient été un succès pour le PS.
5- L’élargissement irréfléchi du « corps électoral » du PS en 2006, en faisant appel, dans la précipitation, à de nouveaux adhérents dits « à 20 euros ». La nature et le fonctionnement d’un grand parti socialiste rassemblant un grand nombre d’adhérents sont des sujets importants, qui méritent mieux que la façon irréfléchie dont cette opération a été engagée, avant la campagne interne pour l’investiture présidentielle.
6- Le système de désignation de l’équipe dirigeante du PS mis en place en 1995 par Lionel Jospin. Cette mécanique, à laquelle je me suis opposé…en vain, comporte trois temps successifs :
· Les militants votent sur des motions, qui doivent être des « textes d’orientation », définissant des lignes politiques (théoriquement) différenciées.
· Le congrès national s’efforce ensuite d’effectuer une « synthèse » entre plusieurs de ces motions, ce qui permet de définir à la fois une majorité et une ligne politique.
· Enfin, les militants votent à nouveau pour choisir directement le premier secrétaire national, qui aura à mettre en œuvre cette ligne.
On voit bien le risque de contradiction que porte ce système : si le premier secrétaire n’appartient pas à la majorité, il devrait donc appliquer une ligne politique …..qui n’est pas la sienne ! Le moins que l’on puisse dire est qu’une telle situation ne contribue pas à crédibiliser l’image et le discours du PS.
Les choses sont encore plus graves si aucune ligne politique majoritaire et donc aucune coalition majoritaire n’ont été définies lors du congrès national. C’est ce qui s’est passé à Reims, où les batailles d’egos ont pris le dessus. C’est ce qui explique en grande partie l’impossibilité de départager clairement les 2 candidates.
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Au-delà de cette analyse et quelle que soit l’issue de la crise actuelle, il faudra bien que les dirigeants socialistes passent des mots aux actes, sous peine de perdre tout crédit auprès des Français.
Les divergences politiques, à condition de les limiter aux choix essentiels, doivent être rapidement tranchées./.