La crise va continuer. Et même s’aggraver. C’est notre pronostic depuis plusieurs mois. Mais plusieurs événements récents en apportent une nouvelle confirmation.
source : http://www.lepartidegauche.fr/
Ce sont tous des Madoff
D’abord l’affaire du fond Bernard Madoff. Contrairement au traitement complaisant de certains médias, cette faillite retentissante n’est pas à ranger au rayon des faits divers au titre de la « plus grande arnaque du siècle ». Elle a sa place dans les pages économie, dans la rubrique « fonctionnement normal des marchés ». Car le ressort du fond Madoff, la cavalerie, appelée également « pyramide de Ponzi » (du nom d’un escroc des années 1920), est rigoureusement le même que celui des bulles immobilières et boursières qui ont fait les beaux jours du capitalisme moderne. La cavalerie est en effet le seul système qui permette d’assurer un rendement très élevé à certains capitaux lorsque l’économie réelle n’y parvient plus. Selon un principe simple : les capitaux apportés par les nouveaux entrants couvrent les intérêts exorbitants de ceux qui sont déjà dans la place.
Prenons l’exemple de la bulle immobilière. Le prix de l’immobilier américain n’a pas cessé d’augmenter, de façon très importante, notamment depuis 2001. Les propriétaires se sont considérablement enrichis (la banque centrale américaine a estimé que 60% de la progression de la richesse des ménages pendant cette période venait de la hausse de l’immobilier). Or ce mouvement de hausse forte et continue a été rendu possible par l’arrivée régulière de nouveaux ménages sur le marché de la propriété immobilière. On pouvait vendre son logement toujours plus cher car il y avait toujours plus d’acheteurs. On a ainsi assisté aux Etats-Unis à une augmentation continue du nombre de propriétaires. Pour y parvenir alors que les inégalités sociales sont très élevées, l’Etat et les institutions financières ont multiplié les innovations permettant d’étendre l’accession à la propriété. Celle-ci a été notamment proposée à des ménages de plus en plus pauvres. C’est ainsi qu’est née la crise des subprimes. Et celle-ci a provoqué l’effondrement de la pyramide.
C’est la même chose avec la bulle boursière. Les cours boursiers mondiaux ont connu jusqu’au dernier krach une hausse sans rapport avec la progression des profits dans l’économie réelle. Elle aussi reposait sur la captation par la finance d’une part croissante de la richesse produite. De nombreux mécanismes y ont contribué : profits industriels réinvestis en Bourse, entreprises rachetant leurs propres actions au détriment de l’investissement productif, développement de l’actionnariat salarié au détriment des salaires… Cette nécessité d’attirer sans cesse de nouveaux capitaux explique aussi l’obstination de la finance à faire main basse sur les masses d’argent considérables gérées par la protection sociale, notamment les systèmes de retraite par répartition. La mise en place de fonds de retraite par capitalisation permettrait de placer ces sommes gigantesques sur les marchés boursiers. Cette exigence de la finance à pouvoir entretenir ce processus de cavalerie a guidé les programmes néolibéraux qui ne sont rien d’autre que la traduction politique de ses intérêts. La hausse continue des bourses n’est possible qu’au prix d’une réduction de l’investissement productif, d’une baisse de la part des salaires et d’une diminution constante du périmètre des besoins sociaux assurés en dehors du marché. Et ce sont justement toutes ces politiques qui ont provoqué la crise.
Les ménages américains expulsés de leur logement pour avoir cru au « tous propriétaires » et les « bénéficiaires » des fonds de pension qui se retrouvent avec presque rien ont été victimes de la même arnaque que les clients fortunés de Bernard Madoff. Même s’ils ne bénéficient pas de la même sympathie de la part des médias dominants que les habitués des greens de golf huppés qui s’étonnent que leur ami Bernard ait pu leur faire une chose pareille. Quelle hypocrisie ! Les clients de Madoff étaient pourtant les mieux informés sur le système. On compte parmi eux le gratin de la finance mondiale. Peut-on croire un instant qu’ils aient tout ignoré de la combine ? Dès 1999, des articles de presse expliquaient que le fond Madoff était une pyramide. Personne ne pouvait croire que par son seul génie Madoff était capable de produire un rendement de 10% par an quelle que soit la météo boursière. La SEC (instance de régulation des marchés financiers) avait déjà été saisie pour fraude. Et qui à Wall Street pouvait ignorer que les comptes du fonds Madoff étaient audités par un cabinet inconnu n'employant que trois personnes, dont une secrétaire ? La plupart des clients de Madoff savaient que leur ami Bernard était un champion de la cavalerie. C’est certain. Mais ils pensaient que la réputation de l’ancien président du NASDAQ suffirait à le mettre à l’abri des enquêtes et lui garantirait un flux régulier de nouveaux clients. Bref que cette pyramide rapporterait à eux aussi quelques jolis dividendes. Cela d’autant plus que Madoff offrait à ses meilleurs clients des dividendes encore plus élevés que les autres… En apportant leurs fonds ou celui de leurs clients à Madoff, combien de ses « victimes » se livraient en quelque sorte à une escroquerie par procuration ?
Ils n’avaient pas complètement tort de confier leur argent à Bernard. Le fonds Madoff, fondé en 1960, aurait pu continuer ses exploits plusieurs décennies encore. C’est le tarissement des capitaux entrants qui l’a mis à terre. Madoff a été victime non pas de ses malversations, mais de la crise financière générale qu’il ne pouvait prévoir. C’est pourquoi la faillite de son fonds en annonce d’autres. D’une part, ses clients actuels subissent de lourdes pertes. Des banques fraîchement recapitalisées par leurs Etats aux frais du contribuable, vont enregistrer de nouvelles dépréciations de leur bilan. 50 milliards qui partent en fumée, ce n’est pas rien. D’autre part, de nombreux fonds sont déjà soumis au même problème qui a ruiné Madoff : ils ne peuvent plus guère compter sur le mécanisme de la cavalerie. Les capitaux se font rares. De nouvelles faillites sont donc à prévoir, notamment chez les institutions qui dépendent entièrement des mécanismes financiers sans filet de sécurité dans l’économie réelle (à la différence par exemple des banques traditionnelles qui ont au moins les dépôts de leurs clients salariés pour leur assurer un socle –relativement- stable). Dans les prochains jours et les prochaines semaines, ce sont notamment plusieurs fonds spéculatifs (hedge funds) qui devraient mettre le genou à terre.
Quand l’industrie se venge
Outre l’instabilité financière qui continue sans se préoccuper des généralités débitées par les puissants sur la nécessaire moralisation du capitalisme, une autre cause d’aggravation de la crise économique se profile à l’horizon. Cette fois ci il s’agit du risque de faillite de l’industrie automobile américaine. General Motors et Chrysler viennent de demander à l’Etat américain plusieurs milliards pour faire face à leurs besoins de trésorerie immédiate. Sans intervention publique, elles seraient promises à la faillite avant la fin de l’année. Or leur situation déjà lamentable va encore empirer. La crise du crédit et la chute de la consommation entraînent un effondrement des ventes qui va durer. Le spectre de la faillite continuera donc de hanter pendant plusieurs mois et même plusieurs années ces anciens navires amiraux de l’économie américaine.
Il faut mesurer le choc que représenterait la faillite de GM, Chrysler et Ford (qui n’est en guère meilleure santé). Elle représenterait la destruction de 2,5 millions d’emplois (1,1 million d’emplois directs et 1,4 million d’emploi liés). 2,5 millions ! Soit un choc social et économique inouï. Ajoutons-y sur le plan financier une perte de 1000 milliards de dollars (selon Paul Jorion), sachant notamment que la dette des trois firmes représente 10% des obligations pourries sur le marché américain. Soit bien plus que le coût de la faillite de la banque Lehman Brothers qui a été le catalyseur de la crise financière mondiale. Un désastre social, économique et financier auquel il faut ajouter la dimension symbolique et politique que représenterait l’effondrement des entreprises historiquement les plus emblématiques du capitalisme américain. Un peu comme si les fabricants réunis du TGV français et de la fusée Ariane faisaient faillite...
Pour éviter une telle catastrophe, Bush a du affronter sa majorité au Sénat et a reconnu publiquement avoir passé tous ses principes par-dessus bord. « J'ai abandonné les principes de l'économie de marché pour sauver le système d'économie de marché. » a-t-il déclaré à la chaîne CNN. C’est dire que l’alerte était grave. Pour sauver l’automobile américaine, vu l’énormité des montants en cause, il devra sans doute faire appel au plan de sauvetage de 700 milliards de dollars voté en octobre mais destiné en principe aux seules banques. Cela veut donc dire qu’une part de cette somme sera effectivement dépensée et que les déficits américains déjà colossaux vont encore s’aggraver. Et qu’au passage l’Etat devra renoncer à l’une des clauses du plan de sauvetage qui précise que des fonds ne peuvent être débloqués qu’en échange de garanties, ce dont plus aucun des trois grands constructeurs automobiles ne dispose.
Là encore, la leçon est à méditer au-delà du seul cas de l’industrie automobile américaine. Car les mêmes politiques ont été menées dans tous les pays développés. Des milliards ont été consacrés par les gouvernements aux plans de sauvetage bancaires. Dans le même temps, rien n’a été fait pour protéger l’économie productive et les travailleurs. Aucun bouclier social n’a été mis en place. Le parasite financier devenu immense a fini par oublier que c’est le travail productif qui le porte sur son dos. Aveuglement désastreux ! Le retour de bâton est déjà à l’œuvre. Les faillites ne manqueront pas de rappeler l’importance de l’industrie au bon souvenir de la finance.
Vers la crise politique
Notre pronostic est connu : la crise économique va devenir une crise sociale puis une crise politique. Ce processus est en train de se réaliser sous nos yeux.
Les chiffres pour septembre et octobre viennent de tomber. Les plans sociaux ont connu en France une augmentation de 30%. Le chômage bondit. Sans compter le chômage partiel. La crise économique est d’ores et déjà une crise sociale. Avant le krach, un grand nombre de nos compatriotes avaient déjà des difficultés pour boucler les fins de mois. La pauvreté de masse battait déjà des records. Or tout cela va empirer. C’est dire à quel point les effets sociaux de la crise actuelle vont dégrader une situation déjà explosive. Où se situe le point de rupture ? Combien de morts de froids ? Combien de travailleurs jetés sur le pavé ? Un plan social plus abject qu’un autre, dans une entreprise qui réalise des profits confortables, servira-t-il de détonateur ? Personne ne le sait. Mais les connaisseurs savent que la cocotte minute est brûlante. L’appel à une journée nationale de grève et de manifestation, le 29 janvier prochain, en semaine, lancé par toutes les organisations syndicales rassemblées pour la première fois depuis le CPE en témoigne.
Quand à la transformation de la crise sociale en crise politique, nous en avons un exemple sous les yeux en Grèce. Jusqu’ici il fallait aller en Amérique Latine pour observer de tels phénomènes. Maintenant ils se rapprochent de nos frontières. Aux portes de l’Europe, l’Islande a connu un effondrement économique digne de la crise argentine. L’Espagne, l’Irlande, cet ancien « Tiers Monde européen » qui a connu des croissances tardives et fulgurantes assises non pas sur un secteur industriel historique mais sur la finance ou l’immobilier subissent des chocs terribles. Et maintenant la crise politique embrase la Grèce. Ce qui semblait hier impensable se réalise : une population excédée refuse de soutenir le gouvernement face aux « casseurs de l’ultra-gauche » ! Elle descend à son tour dans la rue. Tout commence par une bavure, événement dramatique qui peut surgir à tout moment. Puis le pouvoir perd le contrôle. La situation s’emballe. La jeunesse se solidarise. Le rejet de la précarité s’exprime pour la première fois au grand jour. Les Universités s’y mettent. Arrive une grève générale. La crise sociale devient crise politique. Aucune réponse immédiate n’apparaît en mesure de produire le retour à la normale. Le gouvernement vacille. Son impuissance s’étale au grand jour. Il a pourtant gagné les élections il y a à peine plus d’un an. A l’époque le mécontentement populaire s’était cristallisé sur la gestion des feux de forêts, donnant lieu à des manifestations à Athènes. S’y ajoutait –déjà- des affaires impliquant le parti au pouvoir. Mais l’opposition socialiste n’en avait pas bénéficié dans les urnes. Elle avait même enregistré un recul. Le souvenir des réformes libérales engagées par le premier ministre jusqu’en 2004, le très blairiste et très détesté Simitis, était sans doute trop frais dans les mémoires. Bref l’élection avait plus été une défaite de la gauche qu’une victoire de la droite. Et 15 mois plus tard, le gouvernement de droite bat déjà des records d’impopularité. Crise sociale, alternances sans alternative, crise politique… c’est un enchaînement vu maintes fois au départ des révolutions démocratiques en Amérique latine.
Là encore, les leçons ne sont pas à méditer par les seuls Grecs. D’ailleurs il y en a un chez nous qui ne s’y est pas trompé. En demandant à Darcos de reculer sa réforme des lycées, Nicolas Sarkozy a pris la menace au sérieux. Il a compris que le mécontentement lycéen pouvait cristalliser l’exaspération du pays tout entier. Il se raconte même que Sarkozy a retenu de ses discussions avec ses homologues lors du dernier sommet européen qu’il existait un risque sérieux de « mai 68 européen ». Nous ne sommes donc pas les seuls à penser que la crise économique actuelle pourrait déboucher sur une crise politique.