Malgré le calamiteux congrès de Reims, et la séquence d'autodestruction qui s'est ensuivie, le Parti socialiste conserve toutes ses chances de s'imposer comme le parti leader de la gauche dans le système politique bipolaire de la Ve République.
Tribune d'Henri Weber, député européen socialiste, parue dans Le Monde du 8 décembre 2008
Il y a place, dans notre pays, pour une extrême gauche qui oscillerait, au gré des circonstances, entre 5 % et 12 % des voix, tous partis confondus. Il y a place pour un parti vert, et, sans doute aussi, pour un petit parti centriste d'opposition au sarkozysme. Mais le Parti socialiste peut et doit occuper tout l'espace de la gauche réformiste : des altermondialistes aux chrétiens sociaux et aux républicains de progrès. Il s'est éloigné, à Reims, de l'objectif qu'il s'était donné et qu'il avait atteint aux élections municipales et cantonales de mars : devenir un parti qui rassemble par ses seules forces au moins 30 % à 35 % des électeurs, comme le font la plupart de ses homologues européens. Mais cet objectif reste à sa portée : les réponses à la crise économique d'une exceptionnelle gravité qui nous frappe sont de nature social-démocrate, non de facture néolibérale ou "communiste révolutionnaire". Elles passent par un retour en force de la puissance publique et de la négociation collective dans la vie économique et sociale, à tous les niveaux : local et national, bien sûr ; mais aussi européen et mondial.
Les leaders des trente-trois partis socialistes européens ont adopté à Madrid un plan d'action d'urgence, visant à relancer l'activité économique et à réformer le système monétaire international. Ils proposent d'investir massivement :
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dans les énergies renouvelables et les économies d'énergie - notamment l'isolation thermique des logements - ;
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de mettre en oeuvre les grands travaux d'infrastructure transcontinentaux ;
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de valoriser la force de travail européenne par le développement de la recherche, l'innovation, l'éducation.
La page du social-libéralisme se tourne, celle du keynésianisme du XXIe siècle, à la fois écologique et continental, commence à s'écrire. Le Parti socialiste français participe pleinement à cet aggiornamento. Mais pour édifier le grand parti réformiste moderne dont la gauche a besoin, il doit assumer une véritable mutation. Il ne doit pas se résigner à devenir une simple machine électorale, un parti d'élus entourés de leurs collaborateurs. Les dernières élections ont montré que rien ne remplace un dense réseau de militants, implantés sur tout le territoire et actifs dans les grandes associations.
Il ne doit pas accepter de se muer non plus en parti démocrate à l'américaine, parti de supporteurs, atone entre deux élections. Il doit se donner les moyens d'agir sur l'opinion, non de se contenter de la refléter et de la subir.
Pour cela, il lui faut pleinement assumer les quatre grandes fonctions qui incombent au parti leader de la gauche dans notre démocratie. Le PS s'acquitte à peu près convenablement de la première d'entre elles : la fonction électorale. Ses fédérations savent sélectionner, former, faire élire des candidats à tous les mandats et coordonner leur action.
Il n'en va pas de même, on le sait, nationalement, pour l'élection présidentielle qui est pourtant dans notre République la "reine des batailles". L'organisation de "primaires à la française" devrait permettre de surmonter cette carence. Il faudra définir les modalités précises dès 2010, pour les organiser au plus tard, au printemps 2011.
En revanche, le PS doit assumer mieux qu'il ne le fait ses fonctions intellectuelles : en liaison avec les chercheurs, il doit proposer aux Français son explication propre de la crise économique, écologique, de civilisation, dans laquelle nous sommes entrés. Il ne doit pas se contenter de proposer une réforme du système financier, fût-elle radicale ; ni même un plan de relance de l'activité économique, fût-il ambitieux. Il doit opposer une alternative au modèle de capitalisme libéral anglo-saxon qui s'est imposé depuis vingt-cinq ans, comme les sociaux-démocrates scandinaves, puis européens, ont su le faire, à l'échelle des Etats-nations, au XXe siècle. La première grande convention nationale de l'ère Aubry devrait porter sur la réponse des socialistes européens à la crise, à court, moyen et long terme.
Le PS doit assumer pleinement son rôle de porteur d'intelligibilité, mais aussi d'éclaireur et d'accoucheur de l'avenir. Etre réaliste, ce n'est pas s'incliner devant la réalité telle qu'elle est, c'est montrer qu'une autre réalité est possible et la faire advenir. Le PS doit s'investir beaucoup plus qu'il ne le fait dans la lutte idéologique. Il doit défendre énergiquement ses valeurs, ses idées, son bilan au gouvernement comme dans l'opposition, au lieu d'intérioriser les critiques de ses adversaires. Il doit prendre appui sur la crise globale pour réfuter point par point les postulats du libéralisme économique, qui ont aveuglé tant de "décideurs" depuis trente ans. Non pas pour revenir aux recettes du passé, mais pour inventer les réponses du socialisme du XXIe siècle.
Le PS doit adapter son organisation et ses pratiques militantes aux nouvelles conditions de l'action politique, dans notre démocratie médiatique et présidentialiste. Il doit se donner les moyens de maîtriser sa communication, s'il ne veut pas être le jouet des sitcoms que les médias mettent en scène à son détriment. Il doit se doter d'un véritable département de la communication, capable de riposter du tac-au-tac au pilonnage médiatique de Nicolas Sarkozy, et de produire ses propres événements. Il doit acquérir la maîtrise des moyens de communication modernes - l'Internet et l'Intranet -, resserrer les liens avec les syndicats, les intellectuels, et les grandes associations progressistes ; associer ses sympathisants à ses débats et à ses mobilisations.
Il doit s'investir beaucoup plus qu'il ne le fait aujourd'hui dans la construction européenne et dans le Parti socialiste européen (PSE), tant il est vrai que l'Union européenne est l'espace pertinent de la réforme et doit devenir le levier d'une autre mondialisation.
Le PS, sous la conduite de Mart Aubry et de sa nouvelle direction, consentira-t-il l'effort considérable que représente ce bond en avant ? Ou bien se laissera-t-il glisser sur la ligne de la plus grande pente, celle qui mène à sa présidentialisation, sa pipolisation, au parti de supporteurs, simple reflet de l'opinion ? L'avenir de la gauche et de notre démocratie dépend de la capacité des socialistes à trancher cette alternative dans le sens de la reconstruction.