Pierre Lefébure, chercheur en Sciences politiques et animateur de ce site, parle ici –en militant socialiste- du double échec (abstention massive et faible score) du PS aux élections européennes, en le liant au contenu de l'offre politique faite ces derniers mois.
Le premier échec est partagé par tous les acteurs politiques : c’est le niveau record de l’abstention à presque 60%. Historiquement engagés en faveur de la construction européenne et mobilisés pour un projet d’Europe politique, économique et sociale, les socialistes doivent s’interroger sur le désaveu que constitue cette abstention toujours plus massive. Cela est d’autant plus problématique pour le PS que les employés et les ouvriers sont les plus abstentionnistes, ce qui manifeste une défiance des catégories populaires envers les politiques européennes telles qu’elles se sont développées depuis le début des années 1990. Cette tendance a progressivement dénaturé le projet européen en lui substituant les politiques libérales au nom du « marché libre et non faussé ». Si nos concitoyens des catégories populaires et des classes moyennes sanctionnent ainsi l’Europe, c’est notamment parce que nous, les socialistes, n’avons pas été assez forts ni assez exigeants pour réorienter l’Europe. Notre slogan des élections européennes de 2004 était pourtant « et maintenant : l’Europe sociale ». Force est de constater que ce n’est malheureusement pas ce programme qui a été mis en œuvre puisque les dérégulations ont continué à contester et fragiliser nos services publics (Poste, énergie, train…) et que ce sont les projets des libéraux qui ont le plus significativement construit l’agenda européen (directive Bolkestein, commerce). Le bilan est donc mauvais mais le PS n’en a pas fait l’inventaire. Sa volonté réelle de réorienter l’Europe n’a donc pas été suffisamment comprise et n’a pas pu inciter à aller voter.
Le second échec, est spécifiquement celui du PS : c’est le niveau très bas de notre score (environ 16,5%) tandis que la droite UMP-Sarkozy s’en sort très bien (environ 28%). Certes, les socialistes et socio-démocrates sont distancés par la droite un peu partout (Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Italie, Portugal…). Pourtant, ce scrutin devait manifester leur capacité à agir tous ensemble avec le « programme commun » du Manifesto. Si ce texte était symboliquement intéressant en affirmant l’utilité de coordonner beaucoup mieux les politiques européennes avec une orientation de gauche, il reste une base minimale ne permettant pas de développer une campagne dynamique ni des propositions très précises. Le PS a fait l’effort de dépasser ce cadre en y ajoutant un programme plus ambitieux. Mais, finalement, nous ne sommes pas parvenus à bien faire connaître nos propositions pour l’Europe. Notre campagne n’a pas été suffisamment claire et percutante. La responsabilité est collective et ni nos équipes dans les grandes régions électorales ni la Direction nationale n’en sont les seules responsables. La cause principale de notre échec dans cette campagne tient à l’équilibre subtil que nous avons tâché de préserver entre nos différentes tendances. Cela s’est senti dès la phase de constitution des listes : il s’est agi de « donner sa place à chacun » pour dépasser les querelles du Congrès de Reims. Dans la foulée, il s’est agi d’intégrer dans la Direction nationale les composantes de la motion (E) défendue par Ségolène Royal pendant le Congrès alors qu’elle constituait en quelque sorte une minorité légitime dans notre démocratie du parti. Dès lors, l’enjeu principal était devenu la réconciliation interne… aux dépens de l’efficacité et de la cohérence de la campagne. Ainsi, l’attention des médias était définitivement attirée vers l’anecdotique meeting commun de Martine Aubry et Ségolène Royal plutôt que vers nos propositions pour l’Europe.
Ce décalage est d’autant plus dommage que le contexte aurait pu nous être favorable. Les propositions autour desquelles la nouvelle Direction avait relancé le PS et organisé le travail de reconstruction pouvaient trouver un large écho dans le cadre européen. Par exemple, en 2008, la Confédération européenne des syndicats (CES) avait lancé une vaste campagne sur le thème des salaires et de la mise en place d’un salaire minimum dans tous les pays de l’Union européenne. Cela se retrouve dans le texte d’orientation du PS pour 2008-2011 adopté par la majorité du Conseil national qui a mis en place l’équipe de Martine Aubry. Par contraste, la motion E portée par Ségolène Royal ne traitait pas de la question salariale… C’était même une différence importante pendant le Congrès. Dès lors que notre campagne des élections européennes avait pour enjeu principal la réintégration de cette motion E dans la Direction du parti, comment pouvait-on imaginer que l’enjeu des salaires au niveau européen pourrait être au cœur de notre campagne ? De fait, nous avons laissé l’enjeu des salaires de côté. Nos concitoyens employés et ouvriers l’auront sans doute noté. Un peu de la même façon, nous avions une ligne claire à affirmer sur la reconnaissance européenne des services publics. La revendication d’une Directive cadre sur les Services publics est même un des points qui distingue le plus nettement le PS de l’UMP au niveau européen. Mais la défense des services publics nationaux n’est pas particulièrement au cœur de la motion E qui proposait plutôt une décentralisation maximale pour donner de plus en plus d’autonomie aux départements et aux régions (un peu comme Cohn-Bendit parle de services publics régionaux ?). Il était donc délicat de placer les services publics au cœur de notre campagne européenne. De fait, l’enjeu des services publics a donné lieu à une journée thématique. Cette journée était bien construite, avec un tract spécifique, des réunions publiques un peu partout et un meeting final à Paris avec des syndicalistes et des spécialistes réunis autour d’Harlem Désir et de Laurent Fabius. Cela nous a valu un encart dans Le Parisien !!! Comme quoi les médias ne nous ont pas aidés… Mais ce n’était pas une journée thématique qu’il aurait fallu organiser, c’était tout une semaine ! Cela aurait même pu être l’axe de toute notre campagne.
A cette inertie de la campagne socialiste se sont ajoutées les péripéties des sondages et le feuilleton de Bayrou. Il n’en fallait pas plus pour personnaliser ces élections. A ce petit jeu, ce n’est pas faire injure à Daniel Cohn-Bendit, à Rachida Dati et à Nicolas Sarkozy de dire qu’ils étaient mieux placés que nos têtes de liste pour faire mousser les médias. Pendant ce temps, l’essentiel de ce que nous aurions pu dire se perdait dans les nuages. Le mauvais résultats de nos listes est donc avant tout celui d’un grand malentendu où nous nous sommes laissés prendre. Il est temps de revenir au fond de la politique. Il est temps de remettre de la cohérence dans l’agenda des socialistes. Cette cohérence à reconstruire ne sera pas celle d’une génération par rapport à une autre ni celle des barons locaux contre les supposés apparatchiks centraux ni celle du grand brassage concertatif et participatif contre les supposés gardiens du temple. Ce sera la cohérence d’un projet politique mûri par le travail. Que ceux qui ont des propositions parlent ; que ceux qui n’ont que leur ambition se taisent !
L’heure n’est plus à flatter tel marquis ou telle vicomtesse dans l’espoir qu’ils cessent de se répandre dans les médias ou à tolérer encore dans nos rangs celui qui pense que « le mot socialiste ne veut plus rien dire » (Valls). L’heure est à l’affirmation d’une ligne politique claire. Les militants socialistes (et les élus ! ) ont besoin de formation, d’outils de travail, d’une méthode qui collent à l’identité socialiste. La mise en place d’une université populaire des socialistes fait partie des objectifs de l’équipe constituée autour de Martine Aubry. Voilà ce qui doit retenir notre attention. La mondialisation libérale se casse la gueule en aspirant des centaines de milliards d’euros d’argent public et nous la regardons faire, un peu ébahis… Sachons plutôt en analyser les causes et y opposer des alternatives (régulations financières, sociales et environnementales, économie sociale et solidaire, laïcité, question sociale). Face à ces enjeux, notre échec aux dernières élections européennes n’est rien d’autre qu’un incident de parcours. D’ailleurs, si nous avions obtenu un bon score, cela ne nous aurait pas dispensé des efforts que nous devons faire dans les deux années qui viennent. Un immense effort…
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