Entretien publié dans l'Humanité le 24 février 2007 avec Oskar Lafontaine, ancien-président du SPD et actuel président du groupe parlementaire du Parti de la gauche au Bundestag (par correspondant régional).
Quel est le sens de votre présence à Marseille ?
Oskar Lafontaine. Je suis ici pour soutenir la campagne de Marie-George Buffet et la politique du Parti communiste français, parce que nos positions sont très proches. Je crois important que la gauche en Europe coopère. L’Europe a besoin d’une gauche forte en France. L’Europe a besoin d’une gauche qui ne se satisfasse pas de belles paroles mais qui avance clairement des alternatives, qui se montre crédible dans l’opposition autant qu’au gouvernement.
De l’expérience allemande de ces dix dernières années, quelles leçons tirez-vous pour la gauche européenne ?
Oskar Lafontaine. La gauche européenne ne doit pas perdre son fil rouge. Elle ne doit pas se laisser contaminér par le néolibéralisme. La gauche européenne doit rester sur des positions claires et affirmer, par exemple, que les services publics ne sont pas à privatiser. Parce que sans grand secteur public, il n’y a pas de République, il y a juste une société privatisée dans toutes ses facettes. Il est dommageable que tant de partis socialistes et sociaux-démocrates en Europe perdent, lorsqu’ils gouvernent, le fil rouge. Pour reprendre à l’envers la citation célèbre de Jean Jaurès, on pourrait dire : « Ils ont laissé s’éteindre les braises pour ne garder que les cendres ».
En France, un candidat, François Bayrou, propose de dépasser le clivage gauche-droite et de constituer une sorte de grande coalition pour gouverner la France. Depuis plusieurs années, votre pays est justement gouverné par une grande coalition. Quel est son bilan ?
Oskar Lafontaine. La grande coalition en Allemagne ne constitue pas un exemple attractif. Les deux partis n’ont pris aucune décision favorable au peuple. Les réformes sur les retraites et le système de la santé sont menées plutôt contre le peuple. Deux tiers des Allemands y sont opposés. Cette grande coalition, c’est l’arrêt de la politique, puisqu’il n’y a plus d’opposition assez forte au Parlement.
La seule opposition est celle que représente le Parti de la gauche ?
Oskar Lafontaine. Nous sommes les seuls à poser la question du système. L’économie de marché n’est pas en mesure de résoudre les problèmes aussi bien d’environnement que de paix dans le monde. Nous pensons que la guerre au Proche-Orient est la conséquence du capitalisme prédateur. Comme le disait Jean Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. »
La naissance d’une nouvelle couche sociale - le « précariat » - est aussi l’une des conséquences du capitalisme. En Allemagne, nous l’appelons « la génération stagiaire ». Nous sommes le seul groupe parlementaire à formuler des propositions, comme l’instauration d’un salaire minimum, qui n’existe actuellement pas chez nous. Dans une auberge de luxe, à Hambourg, une femme est payée 1,92 euro de l’heure.
Dans la campagne électorale française, on parle peu d’Europe et encore moins des « non » français et néerlandais à la Constitution européenne. Après la réunion de Madrid, craignez-vous que l’on tente de faire revenir par la fenêtre ce que les peuples de ces deux pays ont refusé ?
Oskar Lafontaine. Cela semble, en effet, l’objectif de Mme Merkel, la chancelière de la République fédérale. Nous, la gauche allemande, disons que les peuples doivent décider. Il est impossible que l’affaire se règle au niveau des gouvernements. Nous ne pouvons parler de démocratie que si les décisions européennes sont prises dans l’intérêt de la majorité des Européennes et des Européens.