Contribution pour Priorité à Gauche de Pierre Lefébure, militant socialiste à Paris-20e. Au 1er tour des législatives, malgré une abstention bien plus forte qu’à la présidentielle et plus élevée aussi qu’en 2002, le score national du PS témoigne d’une relativement bonne résistance face à la déferlante Sarkozy-UMP. En faisant mieux qu’en 2002 (+1,3 point), les candidats PS et apparentés démontrent que leur identité politique n’a pas à être abdiquée.
D’ailleurs, comme cela pouvait être espéré (cf. l’appel « Pour un PS fort de ses valeurs » du 7 mai 2007), à l’heure de compter vraiment le poids du PS, ces candidats font aussi un meilleur score (+2,1) que Ségolène Royal concourant en « femme libre » au 1er tour de la présidentielle.
Enfin, au terme d’une campagne législative de second tour cristallisée sur les questions économiques et sociales, le PS voit ses députés passer de 150 à plus de 200. Bref, la maison PS tient debout.Certes, il faut défricher le jardin et ranimer le feu dans les cheminées, sans doute aussi changer le concierge et repasser un coup de peinture mais certainement pas abattre les murs ! Ceux qui prétendent le contraire ne font qu’agir à la manière de ces avides promoteurs qui déprécient la valeur du bien, pourrissent la situation pour racheter à vil prix et se pressent ensuite de revendre à la hausse.
Certes après ces quatre tours d’élection, les conditions nous sont défavorable et le PS va rester dans l’opposition avec des moyens institutionnels très limités pour contrer la politique libérale et réactionnaire de la majorité UMP-Sarkozy. Mais c’est à partir de l’ancrage solide dans les repères politiques de nos concitoyens et à partir de la confiance qu’une large part d’entre eux continue de nous témoigner qu’il faut travailler à la reconquête politique d’une majorité de gouvernement.
Travailler… et non pas divaguer en brandissant comme un totem le mot de « modernité » ou en se promenant le sourire aux lèvres vers des lendemains victorieux d’autant plus improbables qu’on n’admet pas avoir subi une lourde défaite face à Nicolas Sarkozy et qu’on n’en analyse pas les raisons profondes. Travailler, donc… en établissant clairement qu’être socialiste aujourd’hui, socialiste face à un monde en mutation, appelle l’affirmation des valeurs essentielles qui fondent notre engagement : solidarité, émancipation matérielle et culturelle, service public, laïcité, développement durable, internationalisme et multilatéralisme. Car faire le constat des menaces contre notre économie, nos équilibre sociaux et l’environnement, signifie-t-il que nous devions abandonner toute prétention à changer le monde selon les valeurs qui sont les nôtres et seulement consacrer nos efforts à panser les plaies des blessés ou à offrir la soupe populaire aux indigents ? Constater les injustices doit-il nous faire renoncer à la justice et seulement offrir notre soutien moral aux victimes ? Constater les guerres doit-il nous faire renoncer à la paix et seulement indemniser les familles des morts au combat ? Si nous renonçons à nos valeurs, alors assumons que nous ne sommes plus socialistes. Proclamons-nous pragmatiques ou peut-être experts de l’accompagnement social des douleurs générées par le monde tel qu’il va… mais ne nous disons pas socialistes.
Or, convenons-en sereinement, nous ne voulons pas d’un tel reniement ! Si nous sommes au Parti socialiste, si nous nous voulons socialistes, c’est parce que nous voulons encore porter ces valeurs qui sont essentielles au rapport que chacun(e) d’entre nous a au monde. C’est que nous voulons changer ce monde, agir sur lui. Cela est noble. C’est notre honneur. Mais cela est exigeant aussi. Et c’est notre labeur que de devoir étudier ce monde tortueux, le comprendre pour pouvoir ensuite agir sur lui. Oui, il nous faut, parce que nous sommes socialistes, faire de l’économie, de la sociologie, de la démographie. Et pas pour le seul plaisir d’en faire ! Plus profondément, plus viscéralement, pour être équipé et outillé car, c’est vrai, il n’est pas aisé d’analyser les problèmes du monde et de notre pays. Ainsi, contre la prétention de certains à liquider ce qu’ils déprécient sous le nom de « logiciel » socialiste et qui n’est rien moins que la doctrine par laquelle nous affirmons notre désir d’agir sur le monde il faut affirmer qu’il ne peut être question de renier nos valeurs mais que ce sont nos instruments qu’il faut affûter. La doctrine socialiste n’est ni un bibelot ni un gadget ! La doctrine socialiste, où la feuille de paye, le droit du travail, les services publics, l’école, l’impôt et les droits des femmes tiennent une place fondamentale, c’est la synthèse constamment enrichie de notre volonté d’agir. Si nous renions cela, nous perdons notre boussole… et, comme un marin sans instrument, nous naviguerons à vue, ballottés par les flots, tâchant de rationaliser nos errances en pragmatisme pour n’en pas moins subir courants et vents contraires.
Cette doctrine socialiste, ou synthèse de nos valeurs, elle n’est pas archaïque ou moderne mais, tout simplement, elle existe. Il ne tient qu’à nous de l’assumer et, selon que nous en usons ou pas, nous sommes ou pas socialistes. Pour cette raison, il ne peut y avoir de nostalgique « vieux con » par comparaison avec on ne sait quel « jeune malin » moderne, surtout aujourd’hui que le modèle social-démocrate allemand ou nordique n’est plus adapté face aux défis de la mondialisation et du capitalisme financiarisé. Il ne peut y avoir que des socialistes et ceux qui ne le sont pas. Par exemple, parce que nous sommes socialistes, nous voulons que, même en étant ouvrier ou petit employé ou petit retraité, on puisse vivre et élever ses enfants dignement et connaître une émancipation matérielle et culturelle, ce qui n’équivaut pas à penser que, parmi les ouvriers et petits employés, un certain nombre doit pouvoir espérer une ascension sociale pour lui-même ou pour ses enfants. Et aussi, parce que nous sommes socialistes, nous voulons que l’école s’occupe de tous les enfants selon leur besoins et leurs aspirations, ce qui n’équivaut pas à penser que l’école doit permettre aux plus capables d’où qu’ils viennent de réussir. Ainsi, parce que nous sommes socialistes, nous ne nous arrêtons pas aux vertus de la méritocratie républicaine pour l’ascension scolaire ou professionnelle : au-delà de ce mécanisme comme moyen parmi d’autres, nous visons une fin qui consiste en ce que chacun puisse s’émanciper des difficultés de l’existence et des tensions que génèrent les conflits d’intérêt entre puissants. C’est aussi pourquoi nous sommes attachés aux services publics et pas seulement à la qualité maximale que peut atteindre l’un ou l’autre en un point particulier du territoire. Pour nous, la puissance publique doit bâtir du logement social et pas seulement favoriser l’accession à la propriété, restaurer la police de proximité et pas seulement entretenir la culture du résultat statistique, faire marcher les trains de banlieue et pas seulement les TGV, ne pas brader le patrimoine national au secteur privé (autoroutes, EDF-GDF…) mais l’utiliser au service de la population et en tirer des ressources pour équiper le pays (recherche et innovation, matériel hospitalier, informatisation scolaire, maisons de retraites…).
Ah, ce n’est pas facile d’être socialiste… Cela est même d’autant moins facile que notre volonté d’agir sur le monde se trouve confrontée à de grand défis. Mais si socialistes nous nous reconnaissons et si, en socialistes, nous nous outillons pour comprendre ce monde et y imprimer la marque de nos valeurs, alors nous nous mettons en capacité d’agir. Nous devenons capables d’innover dans les mesures à prendre : réarmer la puissance publique dont les instruments doivent être adaptés aux réalités changeantes de la société (fracture numérique, éducation, aménagement du territoire, vieillesse, économie solidaire, laïcité active…), redéployer les sources de financement de nos systèmes de solidarité nationale et de sécurité sociale pour assurer leur pérennisation, solliciter nos partenaires européens en vue de projets cohérents au service des citoyens, établir des mécanismes fiscaux et des réglementations sociales et écologiques pour domestiquer cette mondialisation qui creuse les inégalités Nord-Sud, fragilise nos économies et compromet le développement durable. Ce volontarisme politique qui fait de nous des socialistes est aussi la meilleure réponse à l’accusation d’immobilisme et de conservatisme dont la droite nous afflige. Mais ce volontarisme suppose de constants efforts. Envers nous-même, le premier et indispensable effort est de nous ressourcer en socialisme en assumant notre ancrage à gauche. Lors de notre prochain congrès, puisque c’est ainsi que nous actons nos choix, il faudra l’affirmer massivement. Envers nos concitoyens, l’effort consiste à traduire clairement nos analyses dans une pédagogie proche de l’éducation populaire afin que, dans les élections à venir, nos propositions suscitent une large adhésion. Cela ne doit pas nous empêcher d’arborer tous les sourires, bien sûr, mais telles sont d’abord les conditions de nos victoires à venir. Soyons forts, soyons nous-mêmes, clairvoyants et décomplexés. Soyons franchement et activement socialistes…
Le 18 juin 2007
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