Tribune publiée dans le journal Les Echos sur le scandale des délits d’initiés chez EADS.
Les révélations de l’Autorité des marchés financiers sur les agissements des grands actionnaires et de la direction d’EADS entre 2005 et 2006 suscitent une indignation large. Large et légitime, car il s’agit manifestement d’un scandale.
C’est d’abord à l’entreprise que nuit le scandale. Le dollar atteint 1,42 euro, Boeing reçoit cette année 800 millions de subventions du gouvernement américain : on aurait aimé qu’un débat de fond puisse porter sur les choix monétaires, industriels et commerciaux de l’Europe, sur les options stratégiques mises en oeuvre pour redresser EADS. Et voilà que les malhonnêtetés à répétition de l’ancienne direction concentrent toute l’attention. EADS - ne l’oublions pas - porte l’avenir aéronautique de l’Europe.
Dans l’affaire, il y a en réalité deux affaires : celle des délits d’initiés et celle de l’action du gouvernement de l’époque. Sur les délits d’initiés, l’enquête est en cours. Il apparaît que, pendant que certains dirigeants accumulaient des millions, les difficultés du groupe ont conduit à un plan massif de suppressions d’emplois, tant au sein d’Airbus que chez les sous-traitants. Nous respectons la présomption d’innocence. Reste que si les faits sont confirmés - des informations décisives ont été mises à profit par certains et dissimulées au plus grand nombre - il faudra des sanctions exemplaires. La ligne de défense consistant à soutenir que les intéressés, au plus haut de la hiérarchie de l’entreprise, cumulaient ignorance industrielle et prescience financière, cette ligne de défense ne tient pas.
La démocratie et l’économie ont ceci de commun qu’elles se portent mieux quand règnent la transparence, la mesure et l’intérêt général. Ce sont ces principes qui ont été violés. Le moment venu, il faudra se demander si les règles applicables sont suffisantes. On ne peut accepter que l’avenir d’un fleuron européen comme EADS soit à la merci des agissements malhonnêtes de quelques-uns.
Indépendamment des responsabilités individuelles, les faits soulèvent à nouveau la question des stock-options. La justification généralement donnée des stock-options est d’attirer les talents pour le bien des entreprises. Dans ce cas précis, le système et ses dérives ont conduit à affaiblir l’entreprise. Il y a eu des conflits d’intérêts. Il faut en tirer les enseignements.
L’autre aspect de l’affaire, c’est le rôle du gouvernement de l’époque, qui, par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts et Consignations, a laissé racheter au plus haut des actions vendues par le groupe Lagardère et qui ne pouvaient que baisser. A ce stade, que sait-on ? Que le gouvernement était au courant et a autorisé tout ou partie de l’opération, au nom, nous dit-on, de l’équilibre franco-allemand dans le capital d’EADS qui, en l’espèce, a bon dos. Autre certitude : la Caisse des Dépôts a provisionné rapidement une partie des pertes. Les risques financiers liés aux retards du programme de l’A 380 devaient être connus. Comment croire que le gouvernement n’en ait pas eu vent ? Un gouvernement dont - circonstance aggravante - on sait la proximité de ses membres avec plusieurs bénéficiaires des opérations.
Il faudra donc aussi tirer, pour le futur, des enseignements concernant la Caisse des Dépôts. Mais ce serait ajouter une faute au scandale que de se servir de cette circonstance comme prétexte pour casser un outil majeur de politique industrielle de la nation et de soutien à l’action des collectivités territoriales. Là aussi, il faudra être vigilant, c’est l’intérêt général et les projets de long terme qui sont en jeu.
Dans l’immédiat, comme dans toute démocratie moderne, une commission d’enquête parlementaire devrait être mise en place pour éclairer les faits. Qu’on ne se réfugie pas derrière l’existence d’une procédure judiciaire pour l’éviter ! De nombreux responsables de l’époque occupent encore aujourd’hui des positions éminentes. Ce n’est pas une raison pour ne pas faire toute la lumière sur leur action.