Jean-Jacques Urvoas député (PS) du Finistère, vice-président du groupe socialiste.
Jean-François Copé publie un livre pour raconter sa «conversion parlementaire» (1). Non seulement il ne faut pas douter de cette adhésion que l’auteur reconnaît «tardive», mais il convient même d’en mesurer la force et la sincérité, qui tiennent au moins à deux raisons.
La première est toute personnelle. «Licencié sans préavis» du gouvernement, exilé à l’Assemblée, poussé à prendre les rênes du groupe UMP alors même qu’il était «sans grande expérience parlementaire», il a cyniquement choisi de faire de sa marginalisation imposée l’instrument de son autonomisation par rapport à Nicolas Sarkozy et, partant, de sa régénération.
La seconde renvoie au pari institutionnellement passionnant qu’il entend engager, et qu’il résume en quelques lignes. En l’espèce, il s’agit de faire émerger deux couples «inédits» qu’il décrit avec clarté : «Le couple président de la République-président du groupe majoritaire à l’Assemblée pour faire vivre le dialogue entre l’exécutif et le législatif, le couple président du groupe majoritaire à l’Assemblée-président du groupe majoritaire au Sénat pour entretenir la discussion sur l’ordre du jour entre les deux Chambres.»
La perspective est stimulante. Que les députés d’une majorité ne veuillent plus se contenter de voter les textes, mais aspirent à les insuffler, les accompagner, les corriger si nécessaire est cohérent. C’est même une évolution souhaitable.
Mais rien ne dit que Copé y parvienne, notamment parce que cette configuration originale ferait trois victimes collatérales : le Premier ministre dont la figure «mécaniquement affaissée» est dès à présent «reléguée au second plan», et les présidents des deux Chambres qu’il ne daigne même pas mentionner ! Cet aveu précis éclaire, au demeurant, la réalité du pouvoir politique, aujourd’hui, au Palais-Bourbon, les députés socialistes étant souvent bien en peine de trouver des interlocuteurs fiables.
On mesure aussi la profondeur du fossé entre les intentions affichées et la pratique avérée quand on découvre l’application que met ces temps-ci le président du groupe UMP à écarter des textes d’initiative parlementaire au profit d’autres émanant de l’exécutif, comme l’atteste par exemple la réinscription à l’ordre du jour du projet de loi Hadopi. Bien curieuse manière de procéder pour un groupe qui se revendique comme «frondeur» ! Et que penser de la fameuse «coproduction législative», dès lors que Copé reconnaît au détour d’une page «qu’en dépit de quelques menus incidents, chacune des réformes soumises à l’Assemblée [fut] votée sans encombre» ?
Mais pour autant, si tonique soit-il sur le plan des principes, ce projet se révèle politiquement consternant. Il repose en effet sur une confusion volontaire, savamment entretenue tout au long de l’ouvrage : Parlement égale majorité parlementaire. Autrement dit, la revalorisation du premier ne serait rien d’autre que l’accroissement des pouvoirs du second.
Dans «l’hyperparlement» de Copé, l’opposition n’existe pratiquement pas. Sa seule fonction, du moins si elle veut être «responsable», consisterait à «aider la majorité à jouer son rôle». La gauche n’est donc présentée - en termes choisis et peu élogieux - que comme une force d’imprécation. Ainsi l’auteur, qui s’érige pourtant en chantre de la révision constitutionnelle de juillet 2008, oublie avec une grande constance le nouvel article 51-1 qui prévoit l’attribution de «droits spécifiques» à l’opposition…
L’idée d’équilibre des pouvoirs s’en trouve du même coup ruinée. En effet, dans nos régimes occidentaux pluralistes, le principal rempart contre l’arbitraire ne réside plus dans l’antique séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif conceptualisée par Montesquieu, mais résulte bien davantage de l’existence du couple gouvernant-opposant.
Heureusement, la prochaine réforme du règlement de l’Assemblée nationale va permettre de déchirer les apparences et de mettre à nu l’idée que se font les uns et des autres de la modernisation du Parlement. Ainsi Copé va-t-il persister dans son rejet quasi systématique de nos amendements déposés en commission, comme c’est le cas depuis deux ans ? Se montrera-t-il plus ouvert, lui qui «considère le sectarisme comme la forme la plus aboutie de la bêtise humaine», aux propositions de ces 229 députés de gauche qui s’efforcent de jouer leur rôle d’opposant, au nom des 10 millions de Français ayant voté pour eux ? Acceptera-t-il que des contre-rapporteurs soient nommés sur les projets de loi les plus emblématiques ? Consentira-t-il à reconnaître que l’équilibre des pouvoirs implique la maîtrise par l’opposition de la moitié des séances consacrées au contrôle du gouvernement ?
(1) Un député, ça compte énormément ! Albin Michel.